Le premier morceau "60 Loops for String Quartet and Looping Soundtrack System" démontre de manière limpide ce qu'est la musique cumulative. Cela commence par un loop (une boucle de son) enregistré à partir d'un son produit par un quatuor à cordes et reproduit par un système de bande son en boucle. A cela s'ajouteront progressivement 60 loops s'agglutinant à ce son initial pour former une texture dynamique de plus en plus profonde émotionnellement. La texture ainsi produite, loin d'être cacophonique se révèle polyphonique et jubilatoire.
L'on craint après ce morceau que la suite ne sera que répétition de ce procédé. L'entame du second morceau "Respire (tape version), Electronic Music" nous rassure, les premiers sons , basse profonde, un son de grosse caisse combiné à des sons de cymbales pouvant rappeler les ambiances de Boards of Canada est très différent au niveau de l'atmosphère. Une respiration apparaissant progressivement justifiant le choix du titre. On ressent une certaine porosité dans le son, très riche et pur.
C'est donc avec curiosité que l'on attend la suite, une longue pièce de près de 20 minutes intitulée "Limite Circulaire for Solo Flute and Soundtrack" qui est le clou de cet album. Pour cette composition il a travaillé avec un flûtiste et enregistré plus de 1000 sons différents sur 3 instruments (flûte-basse, flûte en sol, flûte en ut), produisant des effets de timbres (sons éoliens, bruits de souffles), des effets percussifs (bruits de clefs, sons « slap », tongue-ram) et des effets harmoniques (mutiphoniques). Le résultat est époustouflant créant un immense tableau de sons dans la conscience, un tableau abstrait, pouvant rappeler certains tableaux asiatiques, mais c'est personnel, l'ensemble étant si poétique que chacun y mettra sa propre interprétation.
Après une telle débauche d'expression, on est déjà rassasié, et l'on pourrait être tenté de penser que le reste ne sera que du bonus. Le morceau "Série Blanche for Virtual Piano and Looping Soundtrack System" nous apporte encore un éclairage différent, un piano avec des notes comme suspendues couvrant une ambiance pluvieuse et venteuse, le tout s'accélérant lentement et créant un morceau dynamique jusqu'à ce qu'un calme s'installe évoquant une ambiance désertique.
Cette succession de tableaux sonores se poursuit avec "24 loops for Percussionists and Soundtrack". Le même principe que 60 loops, mais cette fois-ci pour percussionnistes. Et l'on sent toute la richesse de la démarche car le morceau nous propose toute une panoplie de sons percussifs qui tournoient dans notre cerveau.
"Fragments" débute avec un son de sonar, et se poursuit avec une voix essoufflée, des voix prononçant des mots aux timbres judicieusement choisis, puis des voix haletantes, des cris, vociférations, rendant le morceau de plus en plus dense, jusqu'au paroxysme, il y a tellement de tension que l'on se croirait dans une scène ténébreuse d'un film de David Lynch.
C'est donc avec une certaine euphorie que je découvre le mot "Epilogue", regettant que ce soit déjà la fin de l'expérience. L'ambiance chaude du morceau contraste avec le précédent et s'avère être une bonne manière de terminer en douceur cet album que je ne peux m'empêcher de placer en tête de mon top10.
Note : on pourrait rapprocher la démarche de Pierre Jodlowski de celle de Steve Reich, elle est à mon avis, la continuité de la musique minimale, avec un degré de modernité en plus. Pierre Jodlowski citant le groupe Coil comme une de ses influences.
Si vous aimez les expériences sonores hors des circuits traditionnels, vous savez ce qu'il vous reste à faire.