I love America
Pourtant sorti en 1983 (période compliquée pour le Coop avec cet album contractuellement du à la Warner) DaDa est musicalement le chainon manquant entre Billion Dollar Babies et Welcome to my...
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le 10 nov. 2016
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"Poc !"
C'est normalement le bruit de quelque chose qui touche le fond.
Ou à la rigueur "Plouf !" s'il y a de l'eau au fond.
Mais, chère horde hurlante de lecteurs assidus (ça c'est pour faire croire qu'il y en a une horde entière, pour me faire mousser auprès de ma famille), vous vous doutez bien qu'Alice Cooper fait un tout autre bruit dans cette situation peu enviable. Dans cette situation Alice Cooper fait "DaDa". C'est justement l'objet de cette critique au long cours.
Comme à chaque fois je vous recommande de mettre une bûche dans le feu, de vous servir une boisson chaude, ou mieux, un bon verre de single malt, je vais vous retenir un moment avec cette sinistre histoire qui porte le nom curieux de "DaDa".
Alice Cooper devait encore un disque à la Warner, sachant très bien que le contrat ne serait pas renouvelé et que les moyens que la maison de disque mettrait à le promouvoir seraient minimes, l'échec s'annonce avant même le début des enregistrements. Pourtant, Bob Ezrin (producteur) et Dick Wagner (guitariste) sont déterminés à finir le boulot et les deux collaborateurs de Lou Reed (sur "Berlin" par exemple ils sont là tous les deux, excusez du peu) vont tirer le chanteur de sa torpeur alcoolisée pour le convaincre de se mettre lui aussi à l'ouvrage, histoire de finir dans les règles. Puisque commercialement ils partaient sur un échec, ils semblent avoir décidé de n'avoir globalement aucun scruule et de faire ce qu'ils avaient envie. Déjà, c'est intéressant comme situation.
Comme pour "Zipper Catches Skin" la couverture est assez cryptique. A première vue, pas facile de savoir qu'il s'agit d'un album d'Alice Cooper. Le "Marché aux Esclaves avec Apparition du Buste Invisible de Voltaire" est tronqué pour la couverture, les visages des deux personnages étant remplacés par celui du chanteur peu reconnaissable. Seul un petit cadre avec nom "Alice Cooper" de petite taille et un "DaDa" très stylisé informeront celui qui voudra bien insister un peu en trouvant l'album dans les bacs des disquaires. Au dos, un médaillon ouvert offre un portrait d'un Vincent Furnier juvénile présentant un petit chiot à l'objectif ainsi qu'un vieillard hilare un peu inquiétant. Pour ce qui est du titre, "DaDa" a effectivement plusieurs sens, celui qui renvoie au dadaïsme bien-sûr (bon du coup on a du Dali, c'est pas tout à fait la même chose quand même) mais aussi tout simplement au "PaPa". On avait déjà effleuré le thème du père abusif dans deux morceaux de l'album précédent (et ce thème reviendra jusqu'au récent "Welcome 2 My Nightmare"), ici il prend tout son sens.
Le morceau titre nous plonge dans une ambiance de malaise. On retrouve sur tout l'album une grosse part de synthés, mais cette fois, ils ne sont globalement pas seulement sautillants ou pop. Leur utilisation crée des nappes angoissantes sur ce morceau, des boucles glaciales rythmées par un battement de coeur oppressant. Alice Cooper ne chante pas, on l'entend à travers l'entretien enregistré d'un médecin et de son patient, un homme visiblement en train de perdre pied, un Dwight Frye au bout du rouleau, qui ne sait plus s'il a un fils ou une fille ni ce qu'il est advenu de sa femme. Comme un leitmotiv, une voix de bébé réclame après son "dada"... Autant dire que la première fois, malgré (ou à cause justement) des sonorités très datés, ça glace le sang.
La rupture très nette avec le "Enough's Enough", plus joyeux, plus pop et plus rythmée surprend. Enfin si on n'écoute pas les paroles. La chanson est une part d'explication au morceau d'introduction. Sans tout détailler, on parle d'un père qui, après avoir tué sa femme qu'il exploitait, décide de mettre son fils sur le trottoir en remplacement. Souvent le chanteur a utilisé cette opposition entre le fond et la forme, on aurait difficilement pu faire plus éloigné. Les paroles sont d'une froide cruauté, "when my mother died, she layed in bed and cry, I'm going to miss you my brave little cowboy, I saw my father smile, a smile he tried to hide, he told me Son, I really got you now boy". On y parle également au détours d'un vers d'un frère enfermé quelque part.
"Former Lee Warmer" est ce frère. Enfermé dans le grenier, il est la honte de la famille et le narrateur évoque à quel point il est difficile de s'occuper de lui malgré tout l'amour fraternel qu'il peut ressentir. Le morceau en lui même est une petite perle. A peu de choses près il pourrait être tiré de "Welcome to my Nightmare" pour son thème comme pour sa mélodie gothique un peu naïve, ses claviers et son style théâtral. Chandeliers, craquements sinistres et secrets de famille, le décor est posé.
"No Man's Land" et "Dyslexia" semblent un peu à part dans cet album. Le premier morceau raconte l'histoire d'un Père Noël de supermarché qui fuit avec une cliente plus intéressante que la ribambelle de gamins qu'il plante sur place. Les deux amants ont de gros problèmes d'identité comme de bien entendu mais ça reste un morceau pop léger et agréable. "Dyslexia" est une nouvelle manifestation de cet humour auto-dépréciatif maintes fois utilisé tout au long de la carrière du chanteur. L'amour fait perdre les pédales et s'emmêler les mots au malheureux narrateur. C'est assez mignon au fond, et la fin où il ne sait plus s'il doit ponctuer la chanson par des "yeah !" ou des "no !" est très drôle. Sinon, musicalement, il faut quand même s'accrocher, car c'est l'un des morceaux les plus synthétiques jamais publiés par le Coop (mais pas le seul, on verra ça bientôt) et c'est plutôt kitsch il faut le dire.
"Scarlet and Sheba" par contre a d'autres ambitions. Le morceau serait presque du rock progressif, avec un gros riff particulièrement musclé et sinistre, aux nappes de synthétiseurs orientalisantes pas forcément mauvaises. Scarlet et Sheba sont décrites comme deux femmes prédatrices déchirant littéralement le chanteur en deux (les versions fémines de Charybde et Scylla). Les refrains sont particulièrement entêtants, et on regrette que l'album n'ait pas connu de tournée car il aurait été très intéressant de découvrir une version live de cette chanson peuplée de solos très réussis. A noter la présence à la batterie de Richard Kolinka de Téléphone, présent également sur "Former Lee Warmer" et "Pass the Gun Around".
Sans interruption arrive la chanson "I Love America" qui n'est pas du tout du même ton. On est là dans la pure comédie, c'est d'ailleurs l'unique single de l'album, dans la lignée de "Zipper..." C'est très drôle une fois encore. Alice Cooper endosse le rôle de l'Américain dans toute sa splendeur caricaturale, haïssant les communistes, il est naturellement vendeur de voitures d'occasion (Better Call Coop) et natif de Detroit City. On a droit au passage des Indiens et de la cavalerie dans une grande fanfare patriotique complètement ironique, on le devine. Le passage sur les serveuses me fait toujours rire.
Avec une intro funky et, oui, bardée de synthétiseurs, "Fresh Blood" me fait toujours penser à une musique d'interlude dans une cassette pour apprendre l'Allemand. Heureusement ça évolue pour devenir un morceau plutôt surprenant sur un album d'Alice Cooper (ça pourrait être issu d'un album tardif des Jackson's ("Maria" par exemple)) mais qui encore une fois se pose en opposition avec son sujet : le vampirisme ! C'est amusant de voir débouler ces thèmes sanguinolents qu'affectionnait le chanteur auparavant avec ces nouveaux sons qu'il a adopté au cours de tout ce début des 80s. Une fois passée la surprise, le morceau finit par se montrer tout à fait honnête et entraînant, se payant même le luxe d'une référence au "Desolation Row" de Dylan au passage.
Mais la plus marquante réussite de cet album est sans doute sa sinistre conclusion "Pass the Gun Around". Ici l'humour a totalement disparu, on retrouve la noirceur absolue de "DaDa", l'émotion en plus. La voix du chanteur retrouve enfin (et après trois autres albums) l'intensité qu'elle avait lorsqu'elle évoquait les moments les plus sombres de l'existence. Ballade désespérée, poignante et sincère, c'est le genre de chanson qui vous prend sans prévenir et ne vous lâchera que bien, bien après la fin de l'album. Sa conclusion glaçante renvoie directement au premier morceau de l'album, tragiquement. "Pass the Gun Around" achève ce cycle d'albums maudits, en résumant plutôt bien la situation "I've had so many blackouts nights before, I don't think I can take this anymore..."
Le feu crépite encore dans l'âtre, il me reste quelques lignes à vous écrire. "DaDa" est le dernier des albums que publiera Alice Cooper avant son retour à la sobriété. Il achève cette période fascinante, débutée dès "Lace and Whiskey" en 1977, qui voit un artiste se déliter peu à peu avant d'atteindre le bout du tunnel. Conçu dans la plus parfaite insouciance des retombées économiques, "DaDa" est sans doute l'album le plus personnel qu'ait livré Alice Cooper et c'est loin d'être le plus accessible, c'est bancal, maladroit parfois, mais tellement attachant ! La comédie y est présente, mais je peux vous garantir que le "Pass the Gun Around" vous ôtera toute envie de rire. Si vous écoutez cet album seul dans une pièce sombre c'est encore pire/mieux. Aucun des morceaux qui composent cet album n'a été joué en concert jusqu'à présent, c'est bien malheureux.
Après sa publication, et, sans surprise, l'échec commercial qui en résulta, la Warner remercia Alice Cooper qui ne réémergea pas avant 3 ans de silence. Il revint chez MCA, avec une nouvelle santé et 0g d'alcool dans le sang. Ca ne pourrait augurer que du bon ? Non ?
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Alice Cooper, presque tout !, Les meilleurs albums d'Alice Cooper et Alice Cooper, une chanson par album, celle que je préfère tant qu'à faire.
Créée
le 17 janv. 2014
Modifiée
le 17 janv. 2014
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