Guère étonnant que TV on the Radio, la formation la plus célébrée par la critique du moment, soit aussi le dernier chouchou en date de David Bowie. Ne trouve-t-on pas dans la musique de David Sitek - le producteur « indie » le plus coté aujourd'hui - tout ce qui a fait la grandeur de l'« homme qui venait d'ailleurs » ? L'étrangement envoûtant Halfway Home, premier titre de Dear Science, est une merveille, le prolongement parfait du mariage entre pop accessible et recherche sonore et structurelle élaborée par Bowie et Eno du temps de Low.Malheureusement, ensuite, ça se gâte. Comme si on basculait dans les eaux insatisfaisantes de Black Tie white noise, l'album où Bowie cherchait à concilier ses aspirations funky commerciales avec son goût pour l'expérimentation. Non pas que Dear Science soit mauvais, loin de là. Mais il ne possède plus le charme de son prédécesseur, le plus inquiétant mais toujours agréablement déroutant et dépaysant Return to Cookie Mountain. Ici, des titres efficaces, plus enjoués que précédemment, tirent dangereusement vers un groove synthétique et une soul fabriquée qui offrent la part du lion aux vocaux de Tunde Adebimpe ou de Kyp Malone, évoquant de loin Prince (pour ne pas dire Ben Harper ou Lenny Kravitz, ne soyons pas cruel). Ailleurs, on songe à la new wave esthète mais clinique de Japan. Des références honorables, certes, mais qui ramènent Sitek et son groupe, jusque-là parangons d'originalité, sur des terrains nettement plus convenus. Songeraient-ils à se rebaptiser TV on the Radio Friendly HC


"Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience." Appliqué au seul domaine de la musique, ce mot fameux de René Char prend une résonance particulière : il jette un défi qui paraît de plus en plus difficile à relever. Comment semer un sain désordre dans un univers qui n’a jamais été autant surchargé en productions de toutes sortes et saturé d’innombrables signaux ? Comment un musicien ou un groupe peut-il provoquer des vagues un tant soit peu durables à la surface de cet océan de sons qui, chaque jour, enfle un peu plus et ne cesse de se recomposer ? Peut-on créer un semblant de tumulte dans un monde qui, à priori, n’est que brouhaha et confusion ? Quelle place une parole singulière peut-elle encore occuper dans cette diversité folle et ce grand vacarme dignes de Babel, où tous les langages semblent s’enchevêtrer sans raison ? A ces épineuses questions, TV On The Radio apporte depuis 2001 des réponses qui ne manquent pas de relief ni de pertinence. En deux albums, Desperate Youth, Blood Thirsty Babes (2004) et Return to Cookie Mountains (2006), le bouillonnant quintette new-yorkais a su faire entendre une voix à la fois discordante et bien distincte, qui a immédiatement tranché avec la cacophonie de ce début de millénaire. Bien que rattachée à la geste rock et au format chanson, la musique de ce groupe de fortes têtes transpirait par tous les pores sa sainte horreur des chapelles et des dogmes. Elle remettait au goût du jour un esprit d’aventure qui avait connu son rayonnement maximal à la charnière des années 60 et 70 avec des formations comme Can, Van Der Graaf Generator ou Soft Machine, pénétrées par les influences du free jazz et de l’expérimentation sonore. De la soul au noisy-rock, de la musique improvisée au doo-wop, du psychédélisme à l’électronique, TV On The Radio voyait large, jusque dans la construction de ses chansons, fondées sur une accumulation aussi virtuose qu’inventive de couches, de pistes et de détails instrumentaux et vocaux. Touffus à l’extrême, ses disques, d’autant plus passionnants à décortiquer qu’ils étaient difficiles à cerner dès la première écoute, trahissaient en vérité une grande sûreté de choix et une clarté de vision absolue. Ce groupe-là avait compris qu’on ne peut se poser en agent du désordre sans être rigoureusement organisé, parfaitement soudé, cohérent dans ses pensées comme dans ses actes. Comme Radiohead à l’époque de OK Computer (auquel le titre de son premier album, l’autoproduit OK Calculator, rendait explicitement hommage), TV On The Radio, fort de toutes ces vertus, parvenait à percer une nouvelle brèche dans la muraille du rock indépendant, ce camp fortifié sans cesse menacé par les forces néfastes de l’inertie et de la routine. Dear Science,, son nouvel album, pourrait aujourd’hui récolter un succès équivalent à celui que connut la bande de Thom Yorke il y a onze ans. Car le groupe, toujours débordant d’idées, a cette fois-ci eu la bonne inspiration d’éclaircir son propos, de mettre davantage d’espace et de silence entre les lignes. Sa parole, toujours aussi libre mais nettement plus accessible, n’en a que plus de portée : on peut raisonnablement penser qu’elle sera cette fois-ci entendue bien au-delà du cercle des amateurs de rock un peu barré. Il existe un mot anglais, "serendipity", qui résume parfaitement le parcours et la démarche de TV On The Radio. Sans équivalent dans notre langue, il définit selon les dictionnaires le "don de faire par hasard des rencontres heureuses". C’est précisément sous le signe de cette bonne fortune que le groupe naît au début des années 2000, quand David Sitek emménage dans l’immeuble de Brooklyn où réside Tunde Adebimpe. Le premier est un multi-instrumentiste aguerri et un fondu de mise en son ; le second est un chanteur à la chaude voix de stentor, qui s’amuse à fixer sur son quatre-pistes des pièces a capella. Tous deux sont d’abord plasticiens, et c’est sur le terrain de la peinture que leur amitié se noue. Mais leurs obsessions communes se fixent très vite sur la musique, matière malléable par excellence dont il rêve d’explorer ensemble les propriétés élastiques. Par la suite, les arrivées du guitariste Kyp Malone puis de Gerard Smith (basse) et Jaleel Bunton (batterie), tous mûs par la même envie de plonger dans le grand bain des sons, ne renforceront pas seulement l’armature musicale et rythmique du groupe. Elles poseront surtout les bases d’une chimie humaine incomparable, qui est à l’origine même de son esthétique mouvante et mutante. Quand beaucoup de formations se forgent une identité en faisant allégeance à un genre ou à un courant, TV On The Radio a en effet préféré se construire sur la communauté d’esprit et de sensibilité qui relie ses membres. Dès lors, peu importe les formes que prendrait sa musique : l’essentiel était qu’elle soit le fruit d’une mise en partage des énergies, des idées et des savoirs de chacun. "Notre identité se manifeste à travers des chansons très différentes les unes des autres, remarque Tunde Adebimpe. Ça déstabilise parfois ceux qui écoutent nos disques : ils ne savent pas comment nous prendre et où nous ranger. Mais si notre musique ne tient pas en place, c’est justement parce qu’elle est le reflet de cinq personnalités très affirmées. Ce qui nous a rassemblés, c’est qu’aucun de nous n’a jamais eu le désir d’adhérer à un style, quel qu’il soit. Ça se voit même dans notre façon d’être ou de nous habiller, qui est plutôt informelle : nous n’aimons pas les uniformes. Quand nous montons sur scène, les gens pensent d’ailleurs souvent que nous sommes des roadies…" Avant même d’être un laboratoire sonore, TV On The Radio aura donc été un lieu de rencontre, fédérant cinq garçons tournés vers un seul but : faire parler la musique, et rien que la musique, sans se soucier le moins du monde de positionnements marketing ni de visées commerciales. "Nous avons tous passé le cap de la trentaine, analyse David Sitek, ce qui signifie que, pour nous, les enjeux ne sont plus les mêmes que lorsqu’on baignait dans l’excitation un poil écervelée de la jeunesse. Quand le groupe s’est formé, nous nous sentions déjà trop vieux pour poursuivre les ambitions que se fixent la plupart des gamins d’aujourd’hui – c’est-à-dire faire coûte que coûte son trou dans l’industrie musicale. Nous n’avions rien de plus important à partager que nos intérêts musicaux. Depuis le début, nous avons notre propre définition du succès : il s’agit d’arriver à mettre cinq dynamiques humaines en harmonie et à les canaliser vers un même but." C’est tout naturellement que chaque membre du groupe a donc reversé au pot commun la somme de ses expériences et de ses désirs. Sitek a ainsi pu laisser libre cours à ses folles rêveries d’architecte, amorcées dès l’enfance après la découverte des constructions savantes du jazzman cosmique Pharoah Sanders, du producteur cinglé Joe Meek ou des Beach Boys. Adebimpe a pu exprimer sans détour son attachement au rock noisy qui composa la bande-son de son adolescence comme sa passion pour le chant altier et brûlant des pionniers de la musique américaine. Malone a notamment apporté sa connaissance encyclopédique du free-jazz et de la soul, nourrie depuis l’époque où, l’esprit en surchauffe et le cœur battant, il écumait l’opulente discothèque de ses parents.Pas étonnant, alors, que l’art de TV On The Radio emprunte aujourd’hui des chemins aussi obliques et sinueux, raccordant comme par miracle des langages que les marchands de musique se sont obstinés à déconnecter. A ceci près que, pour le groupe de Brooklyn, le brassage des genres n’a jamais été une fin en soi, un gentil délire d’agitateurs post-modernes désireux de compresser cent ans d’histoire musicale dans le moule d’une chanson ; il n’est que la conséquence directe d’un fonctionnement interne basé sur l’écoute mutuelle et l’exigence. "Les groupes ont en général deux modes de fonctionnement, explique David Sitek. Soit ils ont un leader qui apporte toutes les idées et que les autres membres suivent aveuglément, soit ils appliquent les règles de la démocratie : chacun contribue équitablement à la création, et au final c’est toujours la majorité qui l’emporte. Ce qui est intéressant, avec TV On The Radio, c’est qu’il suffit qu’un seul d’entre nous ne soit pas satisfait d’une chanson pour qu’on reprenne tout à zéro ou qu’on l’abandonne purement et simplement. Nous avons une conception très personnelle de ce qu’est un hit. Pour nous, ce n’est pas une chanson qui est assurée de cartonner dans les charts : c’est une chanson que nous aimons passionnément tous les cinq, sans réserve." Comment entretenir pareille flamme, après trois albums où le groupe, pas franchement connu pour tempérer ses ardeurs, semblait avoir déjà grillé des quantités déraisonnables d’énergie ? La réponse se trouve dans Dear Science,, disque étourdissant qui montre à quel point TV On The Radio sait concilier réflexion et pur instinct, sagesse et inconscience. Persuadé qu’il avait atteint un point de non-retour avec Return to Cookie Mountains, imposant mille-feuilles qui empilait boucles électriques, samples moulinés et harmonies vocales à gogo, le groupe, soucieux de ne pas virer pachyderme, a décidé d’alléger sa formule. "David a été l’un des premiers à souligner que nous avions conçu un son identifiable, avec notamment toutes ces couches de guitare qui, pour beaucoup de gens, étaient notre marque de fabrique, remarque Tunde Adebimpe. Je continue de penser que notre spectre musical était bien plus large que ça. Mais il a quand même fallu se remettre en question : avoir un son bien à nous, qui risque de devenir très vite une formule reproductible à l’infini, c’est vraiment ce qui nous terrifie le plus ! On a donc poussé notre musique vers quelque chose de plus resserré et de plus mobile. A la différence des albums précédents, nous avons essayé de ne pas trop nous disperser : pour chaque chanson, nous n’avons exploré que deux ou trois directions, au lieu de vingt-cinq à l’époque de Cookie Mountains." Il y a aussi beaucoup plus d’air et de souffle mélodique dans les chansons de Dear Science,, qui est sans conteste l’album le plus pop de TV On The Radio. Une pop évidemment intenable, fuyant son enclos pour aller s’ébrouer du côté de la musique funky (Crying, Golden Age), du hip-hop rentre-dedans (Dancing Choose), de l’afro-beat (Red Dress), de l’electro de pointe (Love Dog) ou de la chanson romantique cerclée de cordes (Stork and Owl, Family Age). Cette folle cavalcade, que Tunde Adebimpe accomplit avec une vélocité et une fougue sidérantes, ne pourrait être qu’un spectaculaire numéro d’acrobatie, une succession d’exercices de style : mais une fois de plus, TV On The Radio refuse de s’embourber dans la gangue d’un genre codifié. Exploitant de main de maître toutes les possibilités du studio, brouillant admirablement les pistes et les sources sonores (il est par moments impossible de savoir si l’on a affaire à une guitare, une voix, un sample ou un cuivre), le groupe réussit encore à créer une musique qui, tout en affichant une très haute définition mélodique, reste pourtant indéfinissable. "Créer ce genre d’ambiguïtés, c’est vraiment ce que je préfère, confie Sitek, des étincelles dans les yeux. Je ne nous considère pas comme des musiciens d’avant-garde : nous utilisons des instruments on ne peut plus traditionnels. Mais rien ne nous amuse plus que d’essayer de les faire sonner autrement, en les désaccordant, en les plaçant bizarrement dans le mix, en les transformant à travers une pédale. Les ressources harmoniques et sonores d'une simple guitare sont immenses : je suis étonné qu’elles ne soient pas davantage exploitées. Le monde musical est incroyablement conservateur, en particulier dans le rock, où plein de groupes s’échinent à reproduire le rock anglo-saxon des années 70 ou 80. A quoi bon, puisque tout ça a déjà été fait, et en bien mieux ?" L’accueil plus que chaleureux réservé à TV On The Radio semble pourtant indiquer que les oreilles sont prêtes à entendre des musiques qui ne jouent pas systématiquement la carte du revival. Mais quand on lui dit que Dear Science, pourrait bien servir de tremplin à toute une théorie de musiciens en quête de nouvelles sensations, David Sitek affiche une moue plus que sceptique. "Je suis vraiment le pire client qui soit pour faire des prédictions de ce genre. Aujourd’hui encore, je suis surpris de voir que notre musique intéresse plus de deux cents personnes… Quand je vois les Jonas Brothers en couverture de Rolling Stone, je me demande comment nous avons atteint le niveau de notoriété qui est le nôtre : ce qui excite le microcosme rock a tellement peu de rapport avec ce que nous faisons… Je suis ravi que le groupe ait duré plus de trois mois et qu’il ait éveillé l’intérêt d’un public assez nombreux. Mais je refuse de voir au-delà de l’instant présent. Dans quinze ans, TV On The Radio sera peut-être oublié : il faut être journaliste pour être convaincu qu’un album comme Return to Cookie Mountains est un classique, une œuvre intemporelle qui marquera encore les générations futures. Moi, je n’ai pas ce genre de certitude, et je donne rendez-vous dans vingt ans à tous ceux qui nous présentent comme des légendes en puissance. Au-delà du moment magique où elle se crée, je suis totalement incapable de juger de la pertinence d’une chanson. Tout ce que nous vivons au sein de TV On The Radio peut d’ailleurs se résumer à cela : la célébration de cet instant précieux où une musique prend forme. Qu’on joue longtemps ensemble ou qu’on se sépare demain, je crois que nous ne nous lasserons jamais de ce genre de miracle." (Inrocks)
Pour la toute première fois, sur la longueur d’un album, les hommes de Brooklyn méritent pleinement leur nom. Ce n’est pas un seul canal, mais tout un bouquet de chaînes (thématiques ?) qu’ils proposent, et zapper sur n’importe lequel des onze titres promet un somptueux spectacle auditif. Ce n’était pas forcément gagné. Après un premier Lp autoproduit et bricolé, OK Calculator (2002) – on apprécie la référence lo-fi à de fameux oxfordiens – par un Tunde Adepimbe et un David Sitek jusqu’ici plutôt passionnés par les arts visuels. Ce dernier s’était découvert de grandes idées avec de petits moyens sur la production des disques de Yeah Yeah Yeahs et Liars, symboles du renouveau de l’art punk new-yorkais. Sitek avait modestement commencé à appliquer sa conception d’un son puissamment sculpté, sombre et spatial (fond noir et éclairs blancs) sur Young Liars Ep (2003) paru chez Touch And Go. Mais il faudra l’arrivée du guitariste Kyp Malone pour parfaire l’équilibre, notamment vocal – sa voix haute se mariant idéalement avec le ténor de Adepimbe. Desperate Youth, Blood Thirsty Babes (2004), disque de la découverte et de la reconnaissance, avait malgré tout ses moments filandreux. Cependant, il incluait des moments de génie qui laissaient espérer que TV On The Radio était un groupe visionnaire attendu : politiquement combatif mais sensible, fusionnant les musiques les plus fortes des quarante dernières années pour refléter le chaos émotionnel du présent. La chanson la plus représentative de cet espoir était la fantomatique et édénique ballade Staring At The Sun, qui fusionnait remontées psychédéliques, trouble cold-wave et ferveur soul. Sur certains concerts de cette tournée, TV On The Radio était intouchable, malaxant le plus trippant des musiques noires et blanches. Initialement engagée pour quelques dates, la paire rythmique Gerard Smith et Jaleel Bunton avait été pleinement intégrée. C’est peut-être cette profusion d’énergie et d’idées qui explique pourquoi Return To Cookie Mountain (2006), malgré quelques bons titres et l’intervention de David Bowie sur un titre, était bien trop chargé pour être digeste, cachant les morceaux sous une surproduction indigeste. Control freak et moteur du groupe, David Sitek s’était laissé submerger. Pas cette fois. Avec un focus placé sur la voix et sur la rythmique, TV On The Radio conserve juste ce qu’il faut pour émuler les atmosphères grand écran et laisse le funk qui est en lui s’exprimer. Surtout, cette production ambitieuse évite lourdeurs et clichés. La fanfare afrobeat Antibalas omniprésente, ainsi que de sérieuses polyrythmies, élargissent le spectre vers l’Afrique, mais sans jamais forcer le trait. Les arrangements de cordes de Stork & Owl et Family Tree sont d’une très grande subtilité. Et les murs de guitares noise de David Sitek, qui aimait jouer du contraste avec les harmonies vocales, disparaissent pratiquement (sauf dans le final de Shout Me Out). Ainsi, dans l’extraordinaire Halfway Home qui ouvre Dear Science, le son en drone accompagnant la performance vocale de Tunde Adepimbe (d’abord chaude et parlée, puis haute et mouvante) est une combinaison idéalement dosée de synthé et d’une guitare là où elle aurait auparavant été une distorsion à la My Bloody Valentine. Après cette ouverture grandiose (ah, ces claquements de mains qui se baladent dans le spectre stéréo) mais proche de leur manière classique, TV On The Radio embraie effectivement sur un morceau disco funk, guitare à la Nile Rodgers, voix élégante qui rappelle le Bowie de Station To Station. Crying n’est qu’un aperçu du parti pris funky : Golden Age, clairement inspiré par le R&B ou l’afrofunk Red Dress peuvent convaincre les plus rétifs, tant ses auteurs les soumettent à des émotions extrêmes. La plasticité vocale de Adepimbe, à la fois très noire et très blanche (jamais grise), se révèle encore plus impressionnante qu’on ne le savait. Sur le très anti-Bush Dancing Choose, Tunde rappe (ou plutôt slamme) avec conviction, laisse mépris et désolation sourdre du tout aussi anti-guerrier Red Dress, trouve des accents méditatifs et profondément résonants sur Family Tree, se fragilise en plainte éprouvée sur Stork & Owl, et sonne comme un guerrier soul sur DLZ. Pour refermer un tel chef-d’œuvre, il fallait une pièce à la fois épique et sensible : ce sera Lover’s Day, à la batterie de fanfare militaire, aux cuivres élégiaques, aux voix blessées, à la densité sonore qui enfle. Explosion totale ? Non, retour à l’épure, puis la voix s’éteint, les cuivres reprennent, mi-free, mi-circadiens, s’enchevêtrent en couches, rejoints par un chœur angélique. Final parfait. On croît de nouveau à TV On The Radio. (Magic)
On se demande bien ce que peuvent avoir affaire ensemble le rock et la science. Le plus souvent, loin de la froideur laborantine supposée, de l'échantillonnage minutieux de sons plongés dans des solutions étranges, leur rencontre donne lieu à des disques moins cérébraux que sensibles, voire outrageusement sensuels. À preuve, le "Big Science" ironique ("Hallelujah! ") de Laurie Anderson qui, à l'orée des 80's insufflait beaucoup de douceur dans l'examen apparemment objectif de l'ultra moderne solitude. À preuve bis, "Science", le disque le plus doux de Thomas Dybdahl glissant sur le lissé des cuivres dans la pente de la soul-funk la plus mélancolique. Eh bien, TV On The Radio réussit haut la main la passe de trois. Pour déjouer d'emblée, et le plus subjectivement possible, l'attente (très hypothétique) de mon lecteur (qui écoute le disque depuis trois semaines, au bas mot), je dirais que : oui, "Dear Science" est de loin le plus accessible, enlevé, mélodique, sensuel et sympathique album du combo : tu parles d'une nouvelle ! Ah, ami lecteur, accorde-moi au moins la patience de lire mon argumentaire. Certes, le groupe est toujours féru de cavalcades rythmiques, de fusion à chaud entre l'abstraction ambient et la vigueur du noisy-rock (le morceau d'introduction, habile transition du précédent disque au nouveau, résume parfaitement l'affaire : "Halfway Home", bien équilibré entre percus et guitares jusqu'au décollage final), certes les influences soul-funk sont depuis le début présentes chez le groupe et le groove et la suavité des voix donnent encore aux compos la chair permettant de s'attacher à leurs embardées expérimentales, et de ce point de vue, Tunde Adebimpe et Kyp Malone sont toujours aussi performants (voir "Crying" ou "DLZ"). Mais le naïf que je suis (si si) ne s'attendait pas forcément à un tel assaut de virtuosité : "Dancing Choose", un jazz-rock saccadé prêt à faire la nique aux farfelus Gnarls Barkley, ou encore "Stork & Owl" électro-soul chargée de marier, avec ou sans leur consentement les synthés d'OMD et les cordes du "Lullaby" des Cure. Au milieu du disque, les deux morceaux que je préfère : sur "Golden Age", la structure funk (rythmiques, basse, vocalises princières) s'épanouit paradoxalement dans une clairière jazz des plus fréquentables (cuivres et chœurs), avant que le charmant "Family Tree" n'assène le coup de grâce : parfaite ballade à faire décoller, par la vertu des violons et des suspensions rythmiques, l'auditeur à l'horizontale. Le plaisir ne retombe pas. Car, par la suite, le groupe poursuit la valse entêtante des exercices de style avec juste ce qu'il faut de variété, d'inventivité constante et de finesse opportuniste : "Love Dog" joue avec les programmations et les cordes d'"Homogenic" pour les fondre dans le même bain sensuel, "DLZ", autre tube potentiel, caresse la FM R'n'B dans le sens du poil avant de la lacérer de guitares. Ambitieux et fédérateur, le disque se bonifie d'écoute en écoute et mérite de figurer, à grand nombre d'exemplaires, dans la liste des cadeaux que vous offrirez à Noël.(Popnews)
Les membres de Tv On The Radio ne se demandent pas si l’on apprécie leur musique. Leur seule préoccupation réside dans la conception du disque, pour laquelle ils accordent toujours la plus grande minutie. Ces cinq personnalités bien frappées, évoluent dans un processus de création perpétuel qui dépasse leurs craintes pour le futur de l’industrie musicale. C’est peut être là, l’une des recettes du succès aujourd'hui. Après "Desperate Youth, Blood Thirsty Babes" (2004) et "Return To Cookie Mountain" (2006), les américains se sont taillés une sérieuse notoriété de vrais magiciens, dont les mélodies sont empruntées à des courants musicaux variés (rock, electro, soul, funk, pop, doo-wop, free-jazz). Les voilà de retour avec "Dear Science," probablement la pièce la plus accessible et la plus réussie de leur discographie. Le groupe prend un malin plaisir que l’on n’oserait freiner à mélanger l’improbable et l’impensable, et donne certainement sans le vouloir, un coup de pied dans la fourmilière parfois un peu trop dormante du rock moderne. Pour preuve, Halfway Home et Dancing Choose, offrent à la première partie de l’album un souffle rock pur, pour glisser petit à petit vers des mélanges electro trip-hop délectables notamment sur Stork & Owl, Shout Me Out ou Love Dog, que bien des groupes auraient aimé écrire. Avec leur panoplie de référence, Tv On The Radio ne rentre dans aucune case et ne cherche pas le conformisme, ce qui frappe en écoutant Golden Age bien plus electro-funk et dansant que les précédents morceaux, tout en gardant cette classe exceptionnelle pour ne pas tomber dans l’excès. Abouti même dans le packaging, "Dear Science," est un chef d’œuvre de délicatesse (Family Tree) et d’intelligence dans les sonorités jusqu’au final époustouflant en fanfare de Lover’s Day. A bien y regarder, les multiples couches qui forment les onze pépites de l’album demanderont un effort particulier de la part du groupe pour les rejouer sur scène, tant les cordes et cuivres sont présents, habilement déposés en superposition d’une des voix les plus chaudes du rock foutoir moderne. A posséder définitivement. (indiepoprock)
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le 26 févr. 2022

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