Dans cet album il y a Rinse the raindrops. Faut que je le dise immédiatement, c’est urgent, c’est comme une envie de pisser. Si vous n’avez jamais ouï cet ouragan inouï parfois traité de « jam » par la critique (oui, dans ce cas, c’est une insulte) qui plonge en plein dans les tripes de Paul et l’envoie tournoyer comme une plume loin au-delà de ce que nous (lui + nous) savions de sa musique et de son self habituels, alors vous ignorez que sous sa partie immergée l’iceberg cache les 9/10èmes de ce qu’il est. C’est un putain de morceau titanesque et habité de plus de 10', à mi-chemin entre le premier album solo de John, celui du cri primal, et le King Crimson de la période Red. C’est pas une jam, connards, c’est une transe, et une transe de chaman, savante et possédée. Des jams qui comportent plusieurs parties cohérentes et parfaitement maîtrisées sans jamais rien perdre de leur fureur et de leur urgence, moi j’en connais pas beaucoup…
Dans Rinse the raindrops, Paul chante comme John dans I want you (je peux pas mieux dire) et joue de la basse comme un possédé à la locomotive d’un train fou (que personne ne s’imagine qu’il n’est qu’un songwriter de génie). On y ressent son angoisse et sa solitude (des échos ponctuent le vocal çà et là) de façon palpable. S’il avait voulu se lancer dans le prog, il aurait zombifié la moitié des groupes classés tels, facile. Ce morceau fracasse tout l’album et éclipse de son soleil noir tous ceux que Paul a pu faire par ailleurs dans sa carrière solo. Il aurait fait que ça, c’était suffisant pour gagner ses galons de total respect, en ce qui me concerne du moins. C’est un monstre indépassable. See the sunlight break the ice.
Album-météo très personnel (deuil de Linda, nouvel amour avec Heather), Driving rain a un peu souffert du syndrome dit « de Mark Everett », dont toutes les œuvres sont des bulletins du temps qu’il fait dans sa tête, au point qu’on se demande « Comment va E ? » avant de s’inquiéter de la qualité de sa dernière production. Donc, là, les critiques ont surtout, de ce fait, remarqué les paroles. Moi, « Something's open it's my heart », ça me suffit. Parce que c’est vrai, et c’est pas si souvent : en général Paul raconte, il ne révèle pas, et il se cache aussi derrière ses préoccupations esthétiques.
Mais Driving rain est un album sans défense(s), qui le montre en travail à bras le corps avec ses émotions. On sent la douleur, on sent la joie, on sent la frustration, on sent l’apaisement et on sent la colère. Il craint pas de se casser ni de se râper la voix, il craint pas de beugler, il craint pas de sonner premier amour. Y’a du feeling. Celui du bluesman et celui de l’enfant. Sur l’ensemble de sa psyché, le temps sera lourd et charriera des choses lourdes, avec risque d’orages et du soleil voilé par endroits. D’où des ciels magnifiques, des ciels de peintre.
She’s giving up talking, c’est le plus plombé : une comptine funèbre, toute dans les graves, avec une basse menaçante sur lamento de guitare, à propos de l’anima de Paul (un personnage féminin qui n’est pas la femme aimée mais auquel il attribue régulièrement une chanson par album), qui a ici « renoncé à parler à l’école », mais qui « ne peut plus s’arrêter dès qu’elle est chez elle » - c’est pourtant vrai qu’il y aurait de quoi faire avec les paroles…. About you, un rock dramatique tout en retenue, est de la même veine.
Les plus soleil voilé, ce sont les plus nombreuses : il y a Your way (une comptine rêveuse, qui a de faux airs de Neil Young dans I am a child et un vocal….voilé) et Spinning on a axis (un mid-tempo en clair-obscur, mélodie ensoleillée génialement contredite par un riff nuit sombre très sobre), auxquelles on peut ajouter le doux-amer I do et Back in the sunshine again (jazzy et cool mais plaintif, la supplique no more worries, no more pain, agissant comme le mantra obsédant qui l’empêche de décoller).
Tout n’est pas de ce calibre. Mais même certains des morceaux les plus quelconques sont intéressants justement en ce qu’ils peinent à émouvoir avec ce qui touche leur auteur de plus près. Il est assez significatif que Magic, le morceau pour Linda, ne le soit pas du tout : c’est du Wings de série, comme Tiny Bubbles qui la précède d’ailleurs. Et que Heather soit largement instrumental et finisse par parler, non d’Heather, mais de trouver un endroit où se cacher. C’est pas mieux avec Your loving flame, d’une grandiloquence si forcée que quand Paul dit « I could spend eternity / Inside your loving flame », on a du mal à y croire.
En somme, Driving rain, que Paul a voulu vite mis en boîte dans un esprit live, est un album éminemment sincère, humble et remue-tripes. Il se caractérise par une spontanéité qui ne se confond pas avec la fraîcheur de Flaming pie dont il partage l’attitude, mais bénéficie aussi du savoir-faire de son auteur (une seconde nature) et de l’énergie brute de son producteur David Kahne, connu pour son travail avec les Strokes et Fishbone. Ce sera sa dernière œuvre de « jeune homme ».
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531