Critique de Scratch (Enclosure sessions)

Ceci n'est pas une critique de l'album Enclosure mais de la chanson Scratch, composée pendant les sessions de The Empyrean et arrangée puis enregistrée pendant celles d'Enclosure. J'ai écrit cette critique en 2014 et je viens de la retrouver, donc je me permets ce petit déterrage... C'est toujours drôle de se relire quelques années après, mais je n'ai rien retouché :) Malheureusement Sens Critique refuse de référencer Scratch faute de lien commercial, donc je la parachute là où je peux !

Souvent capable du meilleur pendant une carrière déjà bien fournie, John Frusciante m’avait ces dernières années plutôt habitué au pire. Les dernières créations du musicien étaient comme l’œuvre maladroite d’un artiste en perdition, cherchant sa route depuis le clap de fin avec les Red Hot Chili Peppers. S’emmêlant les pinceaux dans les synthétiseurs et les boîtes à rythmes, il abandonnait sa signature musicale si particulière, pour s’aventurer dans l’inconnu. Si certains prétendaient voir là la maturité musicale d’un artiste incompris, je restais convaincu du contraire et espérais de tout cœur le voir rebrousser chemin ; surtout, je me refusais à lui accorder un crédit « à l’aveugle », malgré l’admiration portée à sa discographie. Un recul nécessaire pas pris par tout un chacun, à en juger par les réactions juvéniles des fora internet.

Alors quand John Frusciante annonçait un énième album – la productivité ne l’ayant semble-t-il jamais quitté –, je restai sceptique, moi qui fus refroidi par Letur Lefr, transi par PBX Intaglio Zone, et congelé par Outsides ; ses trois derniers opus en date. Enregistrée pendant les sessions de la prochaine galette intitulée Enclosure, Scratch devait servir d’amuse-gueule aux amateurs. En fan de la première heure – ou presque –, je me ruai sur le téléchargement gratuit (!) du nouveau titre.
Et là… stupeur. Après une dizaine de secondes de « bruit », comme pour rappeler l’ascendance directe du morceau, Scratch dévoile ses cartes : une rythmique nette, à laquelle réplique une guitare soliste minimaliste, pour un jeu de questions-réponses délicieux qui sera le fil conducteur de la chanson. Puis surtout… une voix. Sa voix. Plongé dans un mutisme inquiétant sur les derniers albums, John Frusciante revient enfin sur le terrain de jeu qui avait fait de lui un spécialiste de l’écriture. Inespéré !

Vient le refrain, porté par une mélodie vocale dont l’artiste a le secret. Tous les éléments constitutifs sont présents à l’unisson, comme pour atteindre un point d’orgue commun. Mais les travers hip-hop de Frusciante refont surface et y superposent une rythmique brouillonne, dépourvue de structure et bien trop forte de surcroît ; comme le glaçage raté d’un gâteau à la cuisson parfaite.

Heureusement, c’est là le seul travers de Scratch, qui poursuit sa progression pendant presque sept minutes d’un vrai retour aux sources. Avant le dernier couplet, Frusciante laisse sa seule guitare s’exprimer, nous rappelant le compositeur simple mais si expressif qu’il sait être. Quelques accords, sans usine à gaz superflue… C’est pour moi un saut de dix années en arrière, à l’époque de son défi invraisemblable de six albums en autant de mois. Une époque dorée qui restera pour moi l’apogée de son œuvre. Scratch, qui se veut un retour timide aux affaires, porte pourtant les lettres de noblesse d’Inside Of Emptiness (2004), et on y entend çà et là les traceurs de chansons comme What I Saw ou Look On ; vivifiant.

Si Scratch n’a pas encore les armes pour s’installer parmi les chefs d’œuvres de l’ancien guitariste des Red Hot Chili Peppers, elle émet un fort signal d’espoir pour l’album à paraître. Si Enclosure est dans la même veine, il pourrait bien prendre ses quartiers dans ma platine pour de longues heures. Alors en attendant, je croise les doigts, et tente d’oublier que Scratch fut écrite il y a déjà 5 ans…