End Times
6.7
End Times

Album de EELS (2010)

Toujours aussi imprévisible, Mark Everett alterne les phases de réclusion et les périodes de prolixité. Après avoir passé quatre ans à confectionner Hombre Lobo (2009), consacré à la célébration  décomplexée du désir et de l’animalité, il a mis moins de douze mois à bricoler dans l’ombre de son home-studio un successeur aux climats bruts et minimaux. À l’instar de Electric Shock Blues (1998) qui lui avait permis d’exorciser les décès consécutifs de sa mère et de sa sœur, ce huitième album se présente comme un exercice de thérapie musicale destinée à accompagner le travail de deuil d’un divorce encore tout frais. Fort heureusement, Everett possède bien assez de talent et de savoir-faire pour ne jamais sombrer dans un nombrilisme dépressif qui pourrait vite laisser place au malaise. Il étonne même par sa capacité constante à projeter ses états d’âme les plus sombres sur le monde qui l’entoure et auquel il ne cesse de se confronter, comme pour mieux y entendre résonner l’écho de ses propre tourments. Entre évocations nostalgiques des premiers balbutiements amoureux (The Beginning, In My Younger Days) et constats désabusés du déclin du couple (Unhinged), E parvient à conserver une lucidité et une honnêteté étonnantes, analysant sans la moindre trace de complaisance ses propres travers et responsabilités (I Need A Mother). Tant et si bien que l’on finit par consentir à partager sans mauvaise conscience ni culpabilité voyeuriste cette séquence d’intimité judicieusement dévoilée. (magic)


Quelle mouche a donc piqué Mark Oliver Everett pour qu’il ressorte un huitième album seulement sept mois après un “Hombre Lobo” parvenant sans mal à traverser le temps? Un délai jamais vu dans sa discographie, trop court pour que “End Times” augure d’un changement radical par rapport à son prédécesseur. Bingo, Eels repart sur les mêmes bases qu’en 2009 en privilégiant, durant ces quatorze titres, l’ambiance intimiste et mélancolique qui sublimait déjà à plusieurs reprises un précédent opus également partagé entre pop et garage rock. Cette fois, le songwritter semble ouvrir les ultimes portes de son for intérieur et mettre à nu une sensibilité qu’il tentait encore de dissimuler l’an passé. Ainsi, dés que sonnent les chauds arpèges de sa guitare et ses intonations mélancoliques, enregistrées chez lui sur son 4-pistes et dotées d’arrangements minimalistes, Everett vous flanque des frissons, vous broie les tripes en déballant en toute simplicité ses sentiments de trentenaire bien tassé, aujourd’hui séparé d’un amour perdu. Inévitablement, la solitude, la dépression, et une rage bien enfouie planent donc constamment au dessus de ce “End Times”. Essentiellement acoustique à l’exception de “Unhinged” ou des rockabilly “Gone Man” et “Paradise Blues”, ce disque frappe par un paradoxe déstabilisant: celui d’être musicalement le plus brillant quand E y pose ses textes les plus sombres. Ainsi, “The Beginning”, “In My Younger Days”, “Little Bird”, “Nowadays”, “I Need a Mother”, et “A Line In The Dirt”, qui forment tous la colonne vertébrale de cet album, vous font longtemps hésiter entre larmes et sourires d’admiration. Comme si Mark Oliver Everett, peut être le Dylan du 21ème siècle, comptait rappeler qu’il a déjà connu plus rudes épreuves, et qu’il se relèvera également de celle-ci. Authentique. (Mowno)
"Elevé à la rude école du malheur, il y remportait tous les prix”, écrivait Alphonse Allais, qui sans le savoir chroniquait déjà l’oeuvre du Californien Eels. On pensait l’exploration de ces crevasses, gerçures et croûtes réservée à une poignée d’albums : l’observation microscopique et minutieuse du désastre de sa propre détresse ne saurait être un job, une carrière à long terme. On se trompait : les poches de pus de ce garçon sont un puits sans fond, un gisement aussi riche que les exploitations pétrolières saoudiennes – sauf que ce qui en remonte est encore plus toxique, noir et visqueux. Depuis 1996 et son classique Beautiful Freak, c’est cette même pâte sombre et indocile que pétrit Eels, qui malaxe malade les grumeaux d’une vie pas tranquille : un ordinaire fait de morts violentes, de dépressions, d’abus. La suburbia, quoi. Pas étonnant de l’entendre aujourd’hui chanter, avec des accents de Cormac McCarthy, la fin du monde : encore et toujours sa propre vie, projetée sans effets spéciaux, sans censure, sur l’écran de l’universel. Car si le monde est arrivé, selon Eels, à son générique de fin, c’est parce que l’amour l’a, une fois de plus, déserté – et que la demi-mesure ne fait plus partie de son vocabulaire. Ne surtout pas se laisser abuser par les premiers mots de cet album : “Tout était si beau et libre, au début…” L’imparfait est important : à partir de là, tout va mal, dans cette documentation sans pitié, résignée de la dégringolade. Hébété par la chute, Eels ne trouve même plus une seconde pour son légendaire humour noir, l’autodérision à la Leonard Cohen. Si la plupart des chansons – à part quelques coups de rage traduits en rocks hirsutes – partagent le recueillement du Canadien (une guitare édentée, un orgue qui tousse), elles se privent cette fois-ci des cordes et arrangements excentriques qui, souvent jusqu’ici, maquillaient de sucre l’acidité des textes d’Eels. Toujours freak, de moins en moins beautiful, mais toujours aussi fascinant. Ecouter, pour s’en convaincre, le sublime et accablant A Line in the Dirt. Qui d’autre qu’Eels oserait commencer un single ainsi : “Elle s’est à nouveau enfermée à clé dans la salle de bains/Je vais donc pisser dans le jardin” ? (inrocks)
bisca
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le 27 févr. 2022

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