Sur les décombres du grunge et les terres brûlées de la country dépressive, un Canadien cultive un folk bouleversant.Naguère, au pied des fortifications, là où s'estompaient la ville et ses remugles sordides qui se dilataient dans la pureté du grand air des campagnes alentour, c'était la zone : immense terrain vague, inculte, peuplé d'une faune interlope et besogneuse, bâti de misérables cahutes et de bouges infâmes. C'est ici, aux confins du vice et de la vertu, sur ces champs de mauvaises herbes hérissés de chardons et de chiendent abandonnés aux laissés-pour-compte du mirage urbain, qu'aurait bien pu éclore le folk convulsif d'Hayden, il y a quelques éternités. Pourtant, Hayden, tout juste né de la dernière pluie, n'a rien d'un vieillard. Sa zone à lui terre rude des banlieues de Toronto où le gentil Ron Sexsmith n'a jamais dû traîner ses guêtres s'étend quelque part entre les décombres du grunge et la moisson miraculeuse engrangée par les Amish affligés de la country en guenilles. Autrement dit, Hayden est de nulle part. Pas de cousinage pour cet écorché vif, hormis peut-être celui de Vic Chesnutt, autre atrabilaire à la guitare vernie de tourments et d'idées noires. Pas pour lui non plus, le circuit des clubs pour folk-singers godiches, où l'on prêche benoîtement à des pantouflards convertis depuis toujours les poncifs de la contestation institutionnelle. Hayden n'aime rien moins tant que le danger et l'inconfort, braver l'indifférence en montant le son de sa guitare jusqu'à ébaudir le plus obtus des slackers. Everything I long for est ainsi, encore éclaboussé du sang des doigts qu'Hayden s'arrache comme en sacrifice aux cordes d'une guitare dévorante. Ici, le folk s'ébroue violemment, rugit de toutes ses forces, écharpe sauvagement sa proie encore chaude, avant de sombrer dans une léthargie en trompe-l'œil. Neuf des chansons crues d'Everything I long for ont été enregistrées dans la propre chambre d'Hayden, sur un pauvre magnéto 4-pistes et dans l'heure qui a suivi leur écriture. Pas riche donc, guère apprêté mais tendu à bloc, le disque du Canadien cyclothymique, avec son piano anémié (I'm to blame), son petit train électrique en guise de percussions (Tragedy), ses brusques éclats de colère acoustique copeaux de métal de quatre sous, tout rouillé (In September, Driveway). Mais nanti d'un songwriting bouleversant une écriture d'homme blessé mais pas abattu, toujours debout , pourvu d'une humanité terrifiante. Sur Everything I long for, c'est comme s'il n'y avait aucune distance entre l'auteur et ses chansons inconvenantes, comme si chaque parole, même les plus hallucinantes (l'épopée funèbre de Skates), relevait d'un vécu qu'on ne souhaiterait pas à son pire ennemi. Sûr que dans la zone d'Hayden il ne fait pas bon vivre tous les jours. C'est pourtant là, au cœur du néant, que se joue la plus intransigeante des musiques du moment.(Inrocks)
De Hayden, on ne sait rien, si ce n'est son origine géographique Toronto , soit la patrie de Neil Young et des Cowboy Junkies réunis, ce qui mieux qu'un indice, tombe à point nommé lorsque l'on se creusera la tête pour aligner quelques références musicales sur ce personnage mystère. C'est un beau voyage auquel nous convie Hayden, tout au long de ce Everything I Long For, inspiré, mouvementé et fort en gueule. Certes, Neil Young n'est pas loin, anxieux et malsain comme au temps de After The Goldrush. Bad As They Seem est chanté avec la conviction d'un serial killer, sur fond d'harmonica et de guitare sèche, la rythmique en apesanteur. Puis une bourrasque électrique se lève sur In September où Hayden se réveille, comme au sortir d'une mauvaise nuit d'alcool. Tragedy, I'm To Blame et You Were Loved confirment une humeur noire. Quelque part entre un Spain rustique aux mauvaises manières et un Palace énergique et moins catastrophé que d'habitude, le Canadien trace son chemin sur ces terres arides de la campagne américaine, tout en y récoltant une moisson de chansons captivantes, alliant rigueur d'écriture et voix de crooner déglingué qui ne s'en laisse pas compter. (Magic)