Ce fut mon premier contact avec le groupe. Godspeed You! Black Emperor est devenu en quelque sorte les Pink Floyd des hipsters. Voilà les messies, les artistes contemplatifs au sublime son qu'il est devenu commun de dresser au statut de Dieux tout puissant, mais à l'ombre de la foule bêlante et purulente. Je ne sais plus vraiment à quoi je m'attendais. Je devais déjà voir quelque chose de grand. Indéfini et indéterminé, car leur son est "inclassable" m'a-t-on dit. Ils "déstructurent" avec génie toutes les conceptions musicales du siècle. Ils déploient une "richesse" hors du commun, une plénitude gracieuse... En voilà un programme... Et quand le moment fut venu, j'ai l'impression d'avoir à nouveau vécu l'instant où j'ai découvert The Dark Side of The Moon, c'est-à-dire l'envie de crier "BORDEL, j'ai pas écouté le même album que tout le monde, c'est vachement plat ce truc ! Non mais !".
En fait non, pardonnez-moi, j'étais idiot : ce n'est pas si plat. Mais il faut remettre quelques pendules à l'heure. Déjà ils ne "déstructurent" pas. Ils n'ont pas de structure, point. Ils plaquent les différentes parties de leurs morceaux comme des blocs à la suite les uns des autres et on peut parfaitement décomposer les 17 minutes de "The Dead Flag Blues" en 3/4 morceaux subsidiaires (et cela se fait sur certaines éditions), et ceux-là seront d'une linéarité sans faille dans leur progression. Et ceci est valable pour toute leur discographie.
Ensuite, l'album n'est pas "riche". Du moins, cela dépend de quoi on parle. Ce mélange d'ambient, de cordes, de guitares électriques, xylophones, extrêmement luxuriant est unique en son genre, mais paradoxalement, l'album répète et ressasse la même formule encore et encore dans une sorte de claustrophobie ambiante. Vous n'aurez pas là un voyage infini et créatif dans des contrées musicales inconnues, juste un repli sur soi-même constant.
Encore plus fort, leur musique est schématique et dans les grandes lignes prévisible, voire bancale : on peut distinguer dans les "blocs musicaux" deux types qui s'alternent. Ceux avec une mélodie. Ceux qui n'en ont pas. Les derniers, musique d'ambiance, sont souvent accompagnés par des cordes, placés dans une atmosphère lourde, et parfois quelqu'un récite quelque chose par-dessus. Selon l'humeur du moment vous trouverez généralement ça soit chiant, soit beau à pleurer. Les premiers quant à eux se basent généralement sur une mélodie simple et répétitive de 4 ou 5 notes pas originale pour un sou.
Bref, voilà l'analyse que l'on peut faire quand on est pas totalement aveuglé par l'amour. Mais pourquoi tout cet amour me direz-vous ? La chose est simple : Godspeed You! Black Emperor a un secret, une recette, invariable et suivant toujours la même progression, aussi efficace qu'un riff d'AC/DC, ayant le pouvoir d'effacer de votre mémoire tous les problèmes, tous les défauts du disque en quelques minutes. Vous venez de vous ennuyer pendant 10 minutes sur Dead Flag Blues ? Les 5 premières minutes de East Hastings commencent à être longues ? Je comprends, eh bien commençons une "montée en puissance jouissive" !
Deux, trois notes suffisent, on les répète doucement, on les répète encore un peu timidement et on les répète toujours... Encore et encore, et on rajoute des instruments, et les cordes arrivent, et tous les autres suivent, et suivent, et suivent, et le rythme s'accélère, dévale, dévaste tout ! Et BOAM ! WOAH ! C'EST BEAU ! C'EST MAGNIFIQUE ! C'EST MAGISTRAL !
C'EST LE MEILLEUR ALBUM AU MOOOONDE !