Feels
7.6
Feels

Album de Animal Collective (2005)

Feels s'ouvre sur des cris d'enfants, que l'on imagine être ceux qui illustrent la superbe pochette de l'album. Les auteurs des neuf chansons qu'il contient aimeraient sûrement être encore des leurs. Mais comme il est plutôt difficile de faire autrement, Avey Tare et Panda Bear, les deux membres essentiels d'Animal Collective, ont dû se résoudre à grandir. Pendant cette croissance non désirée et les nuits d'insomnie qui l'accompagnaient, le duo américain a trouvé un moyen pour ne pas se perdre : faire de la musique. Un folk mutant et chaotique, complètement déglingué. Tour à tour exalté (The Purple Bottle ou le meilleur single d'Arcade Fire chanté par Jonathan Donahue sous amphétamines) et euphorique (Grass, pop song baroque incendiée), apaisé (le mantra Bees) et émouvant (Loch Raven et sa boucle de carillon vrillé). Les harmonies vocales envoûtantes et surtout la voix lumineuse d'Avey Tare, capable à la fois de toucher en plein coeur par ses chuchotements et de nous entraîner par son sens mélodique, insufflent à l'ensemble une fraîcheur nouvelle et un enthousiasme contagieux. Après l'éprouvant Here Comes The Indian (2003) et l'acclamé Sung Tongs (2004), le groupe poursuit dans une veine toujours plus pop (Did You See The Words en ouverture imparable) et sort son album le plus accessible à ce jour, n'en déplaisent aux intégristes de l'expérimentation qui pourront toujours s'adonner à Black Dice. Et même s'il n'atteint pas les sommets hallucinés de l'inaugural Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished (la faute aux psychés et poussifs Flesh Canoe et Daffy Duck), Feels prouve encore une fois qu'Animal Collective est l'une des rares formations actuelles capables de défricher et d'ouvrir des voies nouvelles, sans pour autant sombrer dans le grand n'importe quoi (à l'image de leur protégé Ariel Pink). C'est chouette d'entendre ces gosses-là s'amuser à des jeux dont ils semblent être les seuls, avec The Flaming Lips, Fog et quelques autres, à en connaître les règles. Espérons simplement qu'on ne leur confisquera jamais leurs jouets, ni leur innocence.(Magic)


Feels, le septième et nouvel album d'Animal Collective, marque une réinvention spectaculaire du son du groupe. Le précédent album, Sung Tongs, avait été fait à deux, explique Avey Tare. Juste Panda Bear et moi Nous en avons eu assez de cette formule et nous sommes partis en tournée avec les autres membres du collectif, Geologist et Deakin. C'est en jouant sur scène que nous avons composé, testé et fait évoluer les morceaux de ce nouvel album, qui est du coup plus électrique.?Le groupe s'est aussi départi de ses habituelles méthodes d'enregistrement, consistant à faire pratiquement tout à la maison. Feels a été mis en boîte loin de New York, à l'autre bout du pays, à Seattle. Animal Collective s'est retrouvé là pour travailler avec un ingénieur du son discret, Scott Colburn, dont le studio est installé dans une ancienne église réaménagée. Colburn collabore avec deux groupes complètement inconnus du grand public, qui sévissent aux frontières du rock, du punk et de la musique expérimentale et dont les nombreux disques ont suscité pléthore de vocations : Sun City Girls et Climax Golden Twins. Avey Tare : La première fois qu'on a traversé le pays en voiture tous ensemble, bien avant d'être officiellement un groupe, c'était pour aller à Seattle voir un concert de Climax Golden Twins !?Feels sonne comme une forme de pop très euphorique, teintée d'un ensoleillement tout hippie, notamment dans les manières de chanter et d'entonner des hymnes psychédéliques. Le disque est aussi très marqué par beaucoup d'autres formes musicales : de la techno, dont le groupe a retenu les leçons d'hypnotisme, aux musiques africaines et au rock le plus viscéral, dont Animal Collective a adopté les manières brutes, notamment dans ses percussions primales, pas très éloignées de celles du Velvet Underground. Primitive, naïve, voilà une musique qui communique une forme de plénitude extatique, quasiment enfantine. Ainsi pour le morceau The Purple Bottle, qui donne l'impression de sortir tout droit d'une cour de récré où les enfants auraient été bourrés d'un cocktail d'amphétamines, de LSD et d'acides. Sur le magnifique Banshee Beat et le minimaliste Loch Raven, elle se dévoile tout aussi droguée, mais bien plus somnolente et décatie, se métamorphosant lentement en symphonies pulsées, aux accents hésitant toujours entre la mélancolie et le désarroi, l'éveil et la narcolepsie. Animal Collective explore vraiment ça : un état aux limites de la conscience, un étourdissement des sens par l'accumulation d'impressions contradictoires. Plus qu'un groupe de pop ou de rock, ce collectif se renouvelle à chaque album et se dévoile invariablement comme un bonheur d'ambivalences irrésolues, bouleversantes pour le cœur et désarçonnantes pour les oreilles. (Inrocks)
A l'écoute de la jubilatoire entame de "Feels", enthousiasme et excitation semblent être les maîtres mots de la nouvelle orientation d'Animal Collective. S'éloignant ainsi du folk halluciné de "Sung Tongs", ou du "Prospect Hummer EP", caressant fruit de leur collaboration avec Vashti Bunyan.

Qu'on se rassure quand même, s'il s'agit là sans doute de leur album le plus pop et simple d'accès, ils n'ont rien perdu de leur douce et innocente folie. Avec au départ, donc, trois morceaux délicieusement brindezingues et terriblement addictifs ("Did You See the Words", "Grass", "Purple Bottle"), où Panda Bear, après avoir fait semblant de chuchoter, explose vite fait son chant pour lâcher les chevaux d'une sarabande jouissive, autour de rythmiques endiablées et de guitares en boucles vrillées.
Cavalcade aventureuse durant laquelle ils convoqueront le peuple de la forêt pour sauter en l'air comme des dératés, tant pis si on se cogne aux arbres, soit successivement, dans un désordre on ne peut plus apparent et j'en oublie : le chef de nos lutins favoris (le chant dératé de "Grass"), les sept Nains sans Blanche-Neige (le final en jodle hypnotique de "Did You See the Words ?") ou la frêle fée Valdystottir, qui sort de sa coquille en faisant virevolter des salves de piano à la Arcade Fire.
Le temps de planter le feu de camp dans une clairière pour s'offrir une pause enfumée et méditative en récitant des prières pour les abeilles, et c'est paradoxalement "Banshee Beat" qui au lieu d'annoncer le point culminant de la bacchanale, sonne l'extinction des feux et nous renvoie dans les bois, tout emmitouflés dans ses nappes de guitares, pour une émouvante nocturne susurrée à l'oreille. "Daffy Duck" (peut-être plus proche d'une veine "Sung Tongs"), pourra illustrer un lever de lune, pour le coup un peu décousu et longuet, avec au lointain de timides hurlements de loup. Mais avec le magnifique "Loch Raven", c'est soudain toute la voûte céleste qui se met à scintiller délicatement. La fée sus-nommée serait t-elle donc venue avec quelques poussières d'aurores boréales pour en parsemer cette bande-son idéale pour nuit en amoureux au clair d' étoiles ?"Turn Into Something" fera ensuite office de résumé final, en s'employant d'abord, avec ses chœurs océaniens, à raviver la flamme de la no-wave papoue, pour s'achever sur une plage d'ondulations vocales et instrumentales vibrantes comme un adieu. Que dire d'autre, si ce n'est que l'ensemble est bien sûr fourni en instrumentations diverses, bruitages, collages, gazouillements, hurlements sauvages, etc. Qu'au fil des écoutes, le travail sur les voix s'avère de plus en plus remarquable. Mais on ne s'attardera pas trop en considérations techniques, voire artistiques, tant la capacité à faire surgir couleurs et émotions du chaos tient sans doute à autre chose, l'âme, ou ce que vous voudrez. Et c'est là que l'on repense soudainement au titre de l'album... C'était simple, finalement.(Popnews)


 Feels » se déroule comme un rêve. Inénarrable, émotionnel, vertigineux. Il n’y a qu’à fermer les yeux et se laisser entraîner dans ce monde onirique où l’on perd volontiers tous ses repères. 

Animal Collective propose une œuvre aventureuse et dense, riche en expérimentations. La comparaison avec Mercury Rev ou Flaming Lips s’estompe, car le collectif laisse pleinement s’épanouir son petit univers halluciné. On sent un profond travail sur les textures, les ambiances sonores et les harmonies vocales, pour faire surgir dans l’esprit de l’auditeur une multitude d’images, de sensations, tour à tour séduisantes et terrifiantes. La première partie de l’album déborde d’une énergie frénétique, ponctuant les douces mélodies d’Animal Collective de refrains braillards. Confinant à la folie, Grass est à la fois sublime et… schizophrénique : les Beach Boys sous psychotropes ! On reste à bout de souffle lorsque le morceau se termine. Les rythmes répétitifs de The Purple Bottle font penser ensuite au chamanisme. Dans sa seconde partie, « Feels » est beaucoup plus éthéré et serein. Quelques notes de cithare et de carillon vibrent. Le chant d’Avey Tare devient murmure. Les guitares ne sont plus qu’un écho quasi imperceptible, flottant dans l’air, avant de plonger dans des profondeurs abyssales. En clôture, Turn into something parvient à conjuguer ces deux parties, en débutant sur des arpèges de guitare, des rythmes saccadés et un chant tonitruant, avant de s’apaiser de nouveau pour inviter doucement au réveil, comme par enchantement.(indiepoprock)


D'après les dires de deux amis proches revenus d'un long périple en Amérique du Sud, la transe chamanique est une expérience profondément subjective. Il semblerait cependant qu'elle recèle des caractéristiques et des effets relativement systématiques:des dispositifs inducteurs se présentant sous la forme de rituels très codifiés dans lesquels la musique occupe souvent une place importante, la dissociation du corps et de l'esprit (le sujet semble passer d'une réalité habituelle à un degré supérieur de réalité), des facultés sensorielles réellement ou imaginairement accrues, des troubles neurophysiologiques pouvant générer des peurs incontrôlées que seul le chaman, accompagnateur de la transe, peut apaiser, etc.L'univers "live" et la musique d'Animal Collective semblent en concordance directe avec cette définition partielle. En compagnie de leurs amis Black Dice, Liars et Gang Gang Dance, les quatre New-Yor kais sont en train de créer sous nos yeux une scène de musique avant-gardiste passionnante, dont les thèmes principaux seraient probablement "mysticisme" ou "rites occultes". Remarquablement malins, ils sont capables d'intellectualiser leur propos (une réflexion pertinente sur l'impact de la musique sur les sens), mais aussi de placer le sensitif au coeur de leurs prestations scéniques. Grimés, masqués, ils revendiquent eux-mêmes leur quête mystique de sensations nouvelles, pour eux et pour leur public. "Sur scène, le maquillage nous aide à nous concentrer sur la musique exclusivement, à nous mettre "hors de nous": quand je joue de la batterie, si j'avais un "look" spécial sur scène, je crois que j'aurais trop conscience de moi-même, de mon apparence et du regard des gens sur moi", explique Panda Bear dans une interview avec nos confrères de Chronicart. "On essaie de connecter les gens entre eux et à quelque chose de plus grand qu'eux. On se déguise aussi pour ça, pour disparaître derrière ce quelque chose."Aujourd'hui, Animal Collective n'aura jamais aussi bien porté son nom. Déja auteur de Sung Tongs, petit manuel réinventant l'usage de la guitare dans la folk-music, le groupe repousse encore les limites du concevable sur Feels, en s'attaquant cette fois-ci à une bestiole d'un autre genre: la pop. Là où des albums avancent à pas précautionneux pour installer une atmosphère puis culminer lors d'un relativement classique feu d'artifice final, Feels donne tout dès son formidable titre d'ouverture, "Did You See The Words". Ses coulées scintillantes de piano, sa batterie tribale, les chants extatiques de Panda Bear et d'Avey Tare (sic) rappellent le souffle et l'exaltation libératrice ressentis à la première écoute du "Neighborhoods #1 (tunnels)" d'Arcade Fire, la folie mystique en plus. Le voyage commence. Sur "Grass", single cacophonique, éclatent les exploits vocaux des deux chanteurs, d'une monstruosité presque enfantine; place aux crissements de guitares reverb sur "Flesh Canoe", sorte d'animal-chanson invertébré à la vision kaléidoscopique. Puis, à mi-parcours, les bruits s'estompent, la musique gagne la stratosphère et devient plus cotonneuse (déguster les poussées d'adénaline du faussement calme "Banshee Beat") avant de redescendre sur terre dans une conclusion trépidante ("Turn Into Something", ou l'art de muer de la country en mélopée noyée dans le delay). Par sa richesse sonore - des milliers de sons, mélodies, fréquences! - et sa subtile structure en cloche inversée, Feels incarne le trip parfait, celui qui démultiplie les sens et ravit l'esprit. Grandeur et décadence au sein de l'underground new-yorkais. (liablility)
bisca
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le 10 mars 2022

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