Filmworks IV par Messiaenique
Dans la famille des bandes-sons créées par John Zorn, je demande le quatrième volume de la série Filmworks. Proposant cinq compositions pour des films réalisés entre 1993 et 1995, son intérêt réside dans la démonstration des capacités de Zorn à jouer les bonnes cartes quand bien même les moyens sont dérisoires. L'inclusion de productions low-budget ne pénalise pas ce volume, même si on aura du mal à trouver un point commun entre chaque composition ; mais c'est un peu ce qu'on attend du patron de Tzadik... Nous surprendre à chaque coin de piste.
On commence avec « Pueblo », composition à l'ambiance western bien prononcée et au groove ultra-soigné de son all-star combo (les habitués type Ribot, Coleman ou Baron), et l'une des grandes favorites de son auteur. On s'imagine facilement en train de traverser un village mexicain déserté, une bande de vautours dessinant des cercles dans un ciel bleu percé par un soleil implacable. Est-ce là une lettre d'amour adressée à Ennio Morricone ? Difficile en tout cas de ne pas trouver cela répétitif au bout de quelques minutes, le thème variant très peu.
Pour la suite « Elegant Spanking », il faut imaginer un film lesbien érotique en noir et blanc – là encore un titre assez suggestif, n'est-ce pas ? Ici, Zorn opte pour des percussions en métal et bois (vibraphone, cloches, woodbells) ; un choix dicté par la nature du film, qui montre « suffisamment de peau à l'écran »... Exit donc les congas, bongos et autres djembés : le tout se joue en résonances, jusqu'aux roulements de cymbales qui closent cette musique douce, sensuelle, parfois marquée de légers accords dissonants.
« Credits Included » place Zorn aux manettes pour accompagner le documentaire de Jalal Toufic ; pour des raisons de budget, il manipule des sons préenregistrés. Au cours de cette dizaine de minutes, on passe d'une saturation bruyante à de courts silences troublés par des clusters de notes légères et syncopées. Le film capturant sur le vif le quotidien de jeunes libanais, on comprend l'utilisation de sonorités arabes, qui se font moins discrètes dans les dernières minutes. On pourra juger cette pièce un poil répétitive, contrairement à « Maogai », une suite et ses variations pour piano seul. Interprétées avec brio par Kyoko Kuroda, pianiste tokyoïte relativement connue de la scène alternative de la capitale nippone, on peut déplorer ici une qualité d'enregistrement loin d'être optimale. Cela n'est pas gênant en soi, on capture malgré tout la beauté fugace de l'ensemble. Quant à la nature du film, le secret reste bien gardé.
S/M + More finit sur un morceau plus long, « Lot of Fun for the Evil One », formé avec l'aide de David Shea à partir d'une sélection de vingt-cinq boucles sonores prises sur des disques aux origines obscures. Aux élucubrations d'Aleister Crowley succèdent des bruits de perceuse, ce qui n'est pas sans rappeler d'autres travaux comme « Beuysblock ». Cet essai transpire l'affaire vite réglée, pourtant la pièce se suit avec intérêt : coup de passe-passe zornien qui clôt ce volume des Filmworks avec dix minutes évocatrices des paysages sonores de Mark Morgan.
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