L'essence de la nuit

Ce machin enregistré n'importe comment par un ado norvégien il y a près de trente ans doit sans nul doute s'imposer comme une œuvre majeure de notre temps. Des années d'écoute n'auront pas altéré la magie et la profonde beauté qui s'en dégage. « Magie » n'est pas un vain mot. Varg Vikernes lui-même racontait écrire ses albums comme une sorte de sortilège devant capter l'esprit de l'auditeur. N'est-ce pas ce qu'est Filosofem ?

Il ouvre la nuit. Il la dévoile.

When night falls
She cloaks the world
In impenetrable darkness
A chill rises from the soil
And contaminates the air
Suddenly...
Life has new meaning

Ne trouve-t-on pas, dans ces quelques mots, quelque chose de l'essence de la nuit ? L'éclosion d'un autre monde, ou d'un double du monde, qui déploie son insondable majesté dans le voile des ténèbres. La nuit fait resurgir d'autres mondes, des mondes révolus, des âges anciens oubliés — ont-ils seulement existé ?

I wonder how winter will be
With a spring that I shall never see
I wonder how night will be
With a day that I shall never see
(...)
In every night there's a different black
In every night I wish that I was back
To the time when I rode
Through the forests of old
In every winter there's a different cold
In every winter I feel so old
So very old as the night
So very old as the dreadful cold

La nuit est propice à la méditation. Filosofem, dans sa mélancolie tortueuse, dans sa nostalgie sauvage et ses entrelacs hypnotiques, la sublime. Il s'y trouve révélé un peu du secret qui scelle le mystère de la Terre qui fuit le regard. On peut écouter son murmure si l'on se place dans l'immanence des choses.

Tears from the eyes so cold, tears from the eyes, in the grass so green.
As I lie here, the burden is being lifted once and for all, once and for all.
Beware of the light, it may take you away, to where no evil dwells.
It will take you away, for all eternity.
Night is so beautiful (we need her as much as we need day).

Malgré son son poisseux, malgré ses voix crissantes, Filosofem a conservé quelque chose d'étrangement hiératique, comme s'il était déjà sans âge. Il n'y plane pas seulement l'âme géniale de Tolkien ou des anciennes sagesses du Nord. C'est, comme elles, un ouvert sur l'insondable ; l'approche — qui ne touche jamais son but — de ce qu'il ne convient pas de nommer, ce qui le ferait sinon s'évanouir. Il accompagne les profondes méditations de la nuit, celles qui posent des questions sans réponses. Mais ce sont les questions sans réponses qui importent le plus.

I wonder how life will be
With a death that I shall never see
I wonder why life must be
A life that lasts eternally
I wonder how life will be
With a death that I shall never see
I wonder why life must be
A life that lasts eternally