Réduire un album génial à une seule chanson, aussi exceptionnelle soit-elle, ne pourrait que jeter le trouble sur la partialité du chroniqueur. Et pourtant, difficile ici d'échapper à l'ombre monolithique d'un des plus grands morceaux de tous les temps, Veteran Of The Psychic Wars. Mais commençons par le commencement.
Formé en 1967 à Long Island, le Culte de l'Huitre Bleue se spécialise très vite dans un classic-hard rock et égrène les albums cultes, comme Secret Treaties en 74 ou Spectres en 77. Vu qu'il n'est pas question ici de vous faire la bio du groupe mais bien de vous en présenter mon album favori je saute directement à l'année 1981, année de parution du chef d'oeuvre qu'est Fire Of Unknown Origin.
Pour la deuxième fois, le groupe s'attache les services du légendaire producteur Martin Birch (Iron Maiden, Black Sabbath, Deep Purple etc...) et pour la dernière fois, Blue Öyster Cult rassemble son line-up originel. FOUO est un album électrique, électronique, parfois presque disco et surtout, épique et heavy!
Le son, tout d'abord, ainsi que la production dans son ensemble, sont d'une précision chirurgicale, millimétrée. Chaque musicien donne son maximum mais là n'est pas l'essentiel, car ce qui compte chez BÖC, ce sont les morceaux. Et c'est donc ici que se termine la partie objective et descriptive de cette chronique: je vais maintenant vous parler de mon Fire Of Unknown Origin à moi.
Étrangement, dans mon esprit cet album a toujours été séparé en deux parties bien distinctes. D'un côté, cinq morceaux d'un heavy de très bonne facture, de structures assez basiques et parfois un peu trop calibrées FM: Fire Of Unknown Origin, Burnin' For You, Heavy Metal (The Black & Silver), After Dark et Joan Crawford. On a là de très bonnes chansons, variées mélodiquement et qui présentent souvent le soupçon d'originalité qui avait un peu manqué sur les albums précédents. Sur des bases solides, le groupe oscille entre classic AOR et disco-metal, nous offrant des petites merveilles de gimmicks mélodiques entrainants et même presque festifs par moments. Les riffs alternent avec les nappes de claviers plus commerciales et les solos de guitare, le groupe vit avec son temps et se permet même quelques petites folies psychédéliques (Joan Crawford), histoire de nous rappeler que les petits ricains se sont formés en plein Flower Power. De quoi constituer la trame d'un album de bonne qualité, tout à fait estimable mais soyons sincères, pas de quoi crier au génie.
Il n'en est rien en ce qui concerne les quatre autres morceaux de l'album: Veteran Of The Psychic Wars, Sole Survivor, Vengeance (The Pact) et Don't Turn Your Back, qui sont d'un tout autre niveau. Le talent exceptionnel de Martin Birch est à son paroxysme, et le groupe s'agence parfaitement. La batterie est à l'économie, précise et efficace. Les claviers nappent une ambiance glaçante, sans en rajouter. Les guitares, saccadées et inquiétantes, se marient à merveille à la basse dont la justesse est impériale. Les riffs et mélodies atteignent ici un niveau de perfection proprement hallucinant, et c'est sur les deux morceaux phares de l'album que le groupe se transporte définitivement au firmament du metal.
Don't Turn Your Back, qui clôt l'album, groove comme jamais un groupe de metal n'a groové, et le mérite en revient beaucoup à la basse sautillante et à la batterie jouée à contre-temps, ce qui n'a pas dû être une mince affaire à enregistrer. La rythmique est assurée par les guitares et les claviers qui de concert plaquent une série d'accords simples, le lead étant assuré par la basse. Les choeurs éthérés finissent d'ajouter à l'ambiance planante, coupée en son milieu par un magnifique break où le groupe se fait plus heavy sans jamais perdre le groove. Un solo jazzy perce au-dessus de la mêlée, confirmant ce dont on se doutait depuis déjà quelques minutes: Blue Öyster Cult ne joue plus du tout dans la même catégorie.
Cette tendance se vérifiera sur Veteran Of The Psychic Wars, meilleur morceau de l'album, du groupe, des années 80 et peut-être même du XXème siècle. C'est comme un miracle, une épiphanie, et j'engage fortement quiconque lisant cette chronique et réalisant que cette corde manque à son arc à se ruer, de toute urgence, sur cette pièce majeure du rock/metal/épique/atmosphérique. Né de la collaboration entre BÖC et Michael Moorcock, légendaire auteur de Sci-Fi/Fantasy, le morceau est présent sur la BO de l'excellent film Heavy Metal, à voir si ce n'est pas déjà fait, sinon à revoir. Sur un tempo martial, rythmé par les toms basse d'Albert Bouchard, Veteran est une pièce saccadée, précise, dont chaque son est utile et calculé. Les claviers fascinants constituent un lit d'angoisses sur lequel s'élève la voix d'Eric Bloom, fragile et torturée. C'est la voix d'un vétéran irradié, d'un homme abattu qui porte en lui les séquelles des innombrables combats injustes menés au nom de rien: « Wounds are all I'm made of ». Le spectre du Viet-Nam plane sur le morceau, et le solo magistral agrémenté d'une chambre d'écho simple mais terriblement efficace nous emmène sur les ailes d'un charognard, planant loin au-dessus du charnier: « Did I hear you say that this is victory? » Réclamant la pitié, demandant à ce que ses frissons cessent, le vétéran d'un millier de guerres psychiques agonise sous nos yeux, dans une ambiance d'apocalypse.
Difficile, bien difficile de ne pas s'arrêter à ce morceau, de ne pas en faire le symbole d'un album qui ne lui ressemble pas toujours. C'est pourquoi je ne le ferai pas. Fire Of Unknown Origin mérite la note maximale, et si c'est surtout la présence en ses rangs de Veteran Of The Psychic Wars qui lui vaut cet honneur élégiaque, eh bien tant pis. So be it!