Le nom de l’album provient d’un vers d’un des 4 Costello-McCartney qui y figurent, That Day is Done : « Elle jette des fleurs aux ordures, et c’est comme ça qu’une éclate devient blessure ». Mais il est difficile de ne pas penser que cette image provient elle-même de la puissante métaphore des Sex Pistols : « Nous sommes les fleurs dans votre poubelle, nous sommes le poison dans votre machine humaine » dans God Save the Queen.


De loin la plus fructueuse des (trop) nombreuses collaborations de Paul « Let ‘em in » McCartney, Flowers In The Dirt est marqué avant tout par les contributions et l’esprit d’Elvis Costello, l’ex-faux punk qui avait sa carte de membre du fan-club des Beatles depuis l’enfance et dont la présence est sensible même quand il n’est pas là : dans les vocaux de gorge sobres et mats, dans la faveur donnée à des genres qu’il affectionne (comme la bossa nova et le reggae), dans la rigueur des compositions et l’absence presque totale de toute mièvrerie, de toute faute de goût.


Songwriter d’exception lui aussi, Elvis est mélodique mais pas mélodieux : bien plus rigoureux que son hôte et fort d’une discographie nettement plus exempte de scories, il introduit un ton acerbe, amer, le sel et le poivre dans le sucre de Paul. En témoigne le merveilleux et très costellien duo You Want Her Too où le tandem s’échange des vacheries, la douceur plaintive de Paul se faisant casser par les répliques sarcastiques d’Elvis (« - Je l’aime depuis siiiiiiiiiii loooooongtemps ! – Ben alors t’attends quoi pour lui dire, crétin ? »). Une rencontre au sommet, une complémentarité de rêve…. que Paul n’a pas réussi à saboter, même s’il s’y est employé très fort.


En 1989, Paul est ébranlé par l’échec de Press to play et interpellé par le succès de George, dont le I’ve got my mind set on you triomphe un peu partout. Il accepte la suggestion de son management, et le tandem Costello-McCartney écrit 9 morceaux, quasiment de quoi faire tout l’album. Mais Paul n’est pas satisfait de la production de Costello, et redoute probablement que celui-ci lui fasse de l’ombre. Il ne retient que 4 chansons, adoucit les aspérités d’Elvis (qu’on compare, par exemple, How Many People à Watching the Detectives), fait appel à une foultitude de producteurs qui brouillent le son (j’en ai compté 11), s’éparpille dans des styles différents : enfin il sacrifie la complémentarité idéale et l’entente artistique naturelle au souci de plaire au grand nombre et à la recherche du hit perdu.


De sorte que Flowers in the dirt devient un album à reconstituer. Pour avoir une idée du projet initial, et aussi du chef d’oeuvre capable de rivaliser avec Chaos and creation que l’album aurait pu, aurait dû être, à My brave face, You want her too, Don’t be careless love, et That day is done il faut ajouter Veronica, Pads, Paws and Claws (Spike d’Elvis), So Like Candy (Mighty like a rose d’Elvis) et The Lovers That Never Were, Mistress and Maid (Off the ground de Paul). Mais bon. Maintenant que j’ai pleuré sur le lait renversé, je vais quand même me souvenir d’un détail : Macca, avec toutes ses valses-hésitations, avec tous ses défauts, et si agaçant puisse-t-il parfois se montrer…. Macca n’est pas un manchot.


Flowers in the dirt, tel qu’il est, a les qualités de ses défauts : il déploie une palette musicale si étendue et si multidimensionnelle que, paradoxalement et en dépit de sa dominante pop, cet album qui se veut évident et mainstream est peut-être le plus riche et le moins immédiat de la discographie de Paul. Surtout, il est bourré de certains des morceaux les plus forts que Paul ait jamais écrits. Si je peux vivre sans les paresseux, très ‘80s et un peu ringards Rough Ride, Ou Est Le Soleil et surtout Motor Of Love (la honte, celle-là), je n’en vois pas beaucoup qui ne tuent pas leur mère dans ceux qui restent. Outre les 4 Costello-McCartney, tous des réussites où l’alchimie fonctionne parfaitement, l’inusable This One, taillé dans cette pop archétypale et intemporelle dont seul XTC était encore capable et que Paul a signé tout seul comme un grand, est juste un des meilleurs simples post-Beatles jamais sortis, tous Beatles confondus. Distractions, délicat et subtil, nous murmure tous les Brésils sur une de ces superbes mélodies intimistes dont il a le secret. Figure of eight, moins immédiat, a des accents d’Andy Partridge (tiens, le voilà – il n’était pas loin) une fois apprivoisé. Et même les inévitables chansonnettes familiales, We Got Married et Put It There, se parent ici d’une gravité et d’une sincérité qui les anoblissent et les universalisent bien au-delà de celles qui nous ont tant barbés chez Wings.


A lot of flowers, little dirt. On peut aimer cet album pour ce qu’il aurait pu être (les démos de l’Archive Collection en donnent une idée assez précise pour justifier le regret), si la géniale tête de lard qui l’a commis avait fait preuve de moins d’insécurité, et de plus de jugeote. On peut, en pensant très fort à l’Autre, rêver à ce nouveau tandem Costello-McCartney, qui était possible et ne fut pas. Mais on peut aussi adorer Flowers in the dirt pour ce qu’il est, un beau bouquet de roses bien arrangées dans un vase – ces fleurs qui plaisent à tout le monde, mais que bien peu savent faire pousser, et disposer.


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Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531

OrangeApple
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le 6 mai 2019

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