Françafrique est d'abord un album de reggae qui réussit à nous entraîner sur ses rythmes syncopés et variés. Les saxos, orgues et pianos créent un univers musical riche et enveloppant. Certains instruments à cordes libèrent un son qui m'est méconnu. Les choeurs féminins sur "Y en a marre" et "Soungouraba" sont superbes, les mélodies restent facilement dans la tête et cela s'écoute comme on écouterait les premières chansons des Beatles. C'est cependant nettement plus exotique pour l'auditeur français lambda, ne serait-ce que parce que Tiken Jah Fakoly ne chante pas seulement en français mais aussi dans une langue africaine. C'est particulièrement probant sur "Missiri". Françafrique est en fait un album mondial, ce qui est illustré par les accents que Tiken Jah Fakoly y a mis. Le mot "justice" sur le morceau éponyme est ainsi prononcé d'une façon quelque peu anglophone, ce qui est du plus bel effet. Il y a des passages qui semblent interpeller directement l'auditeur, comme l'introduction parlée de "On a Tout Compris" qui aurait pu être celle d'un morceau de rap. Je suis loin d'être calé en reggae, mais il me semble que Tiken Jah Fakoly reste fidèle au genre tout en ayant sa propre originalité. En tout cas, son songwriting tout comme sa façon de chanter sont géniaux.
Mais ce n'est pas tout : Tiken Jah Fakoly est un chanteur engagé dont les textes regorgent de références historiques et politiques. En plus d'être un excellent album de reggae, Françafrique est un essai politique abordant notamment l'influence de l'Europe en Afrique. La cible principale de Fakoly est "Babylone", symbole du sempiternel pouvoir du monde occidental pour le mouvement rastafari. Pour Tiken Jah Fakoly, il y a eu l'esclavage puis la colonisation, la coopération et enfin la mondialisation. Au final ce sont toujours les pays occidentaux qui dominent, avec la complicité de chefs d'Etat africains corrompus. Là où "Le Pays Va Mal" est un constat négatif de l'état d'un pays corrompu et divisé, "Justice" peut être entendu comme un appel à la réforme. Sur le titre phare de l'album, les relations entre la France et les pays africains sont qualifiées de "blaguer tuer". Une métaphore filée de "On a tout compris" résume tout : "ils allument le feu, ils l'activent et après ils viennent jouer aux pompiers". Françafrique est critique mais mesuré, révolté mais calme, cynique mais festif. C'est ainsi que l'art est un moyen pacifique pour faire passer des messages politiques.