From the Inside
6.7
From the Inside

Album de Alice Cooper (1978)

Voilà. C'est fait. Vincent Furnier a tant tiré la corde et tant abusé qu'il se retrouve propulsé dans un monde effrayant et inédit qui cette fois n'a rien à envier avec ses cauchemars les plus sombres : l'asile psychiatrique. Comme le laisse présager la couverture sur laquelle des portes s'ouvrent sur le visage d'Alice Cooper, ainsi que le titre transparent, on à ici affaire à un album introspectif. Les portes ouvrent sur un décor digne du "Vol au-dessus d'un nid de coucous" qui n'est autre que celui qu'à connu le chanteur durant une intense période de désintox.


"From the Inside" se veut le témoignage de cette période noire que le chanteur décide de mettre à profit, après tout, il a jonglé avec les thèmes de la folie avec "The Ballad of Dwight Fry" pourquoi ne pourrait-il pas ajouter sa propre expérience à l'édifice ? "From the Inside" devrait être un album intimiste, ce serait trop facile ! Alice Cooper s'entoure en effet d'une toute nouvelle bande pour la peine : le parolier Bernie Taupin, le guitariste Davey Johnstone et le bassiste Dee Murray, soit une bonne partie de l'entourage de..........ELTON JOHN ! Fichtre ! Dans le genre intimiste et mesuré on a fait mieux qu'Elton John !
L'album est réellement écartelé entre un fond réellement tragique, autobiographique et une forme...joyeusement pop !


"From the Inside" en bonne chanson titre annonce la couleur. C'est joyeux, sautillant, et ça parle d'alcoolisme, d'errance, de la confusion entre le personnage public et la vraie personne derrière le maquillage. C'est déroutant, on dirait vraiment qu'Elton John est parti en pause et qu'Alice Cooper le remplace 3 minutes et 56 secondes. Pourtant, si dés ce moment la mayonnaise prend avec vous, alors c'est gagné pour le reste de l'album. Les paroles sont aussi noires que l'enrobage est joyeux. C'est là tout le concept.
"Wish I was born in Beverly Hills" entame la gallerie de portraits qui constitue la faune de l'asile où a résidé notre cher Vincent.. On y suit une starlette en devenir, version réelle de la chanson "Star of the Silver Screen" qui a visiblement brûlé la chandelle par les deux bouts et a rejoint la joyeuse troupe en camisole pour un bon moment. Les rêves de célébrité confrontés à une réalité trop dure s'éparpillent comme autant de confettis sur une musique encore une fois des plus enjouées. Encore une fois on sent bien que l'entourage d'Elton John n'a pas perdu ses repères en travaillant avec un personnage apparemment tout à fait opposé au binoclard.
'The Quiet Room" replace le malaise au centre de la scène. Sur une mélodie et une instrumentation vraiment cul-cul la praline on assiste à la glaçante confession de notre chanteur au fond du fond. Il y décrit les murs capitonnés qui en savent bien plus sur lui que sa propre épouse (la délicieuse Sherryl) ainsi que ses plus sombres pensées, incluant bien évidemment le suicide. C'est sur ce morceau que le précipice entre fond et forme est le plus vertigineux. L'élégance d'Alice Cooper a ceci de rare qu'il sait parfaitement cacher derrière un voile de naïveté et de maladresse ses aveux les plus sincères, sous des nappes de synthés hyperglycémiques se trame un drame bien réel, pour peu qu'on soit un tant soi peu impliqué dans le concept, le pathétique de la situation vous revient en pleine face sans crier gare.
"Nurse Rozetta", un peu funky sur les bords redresse un peu la barre, au sens propre comme au sens sale. La pensionnaire ici décrite n'est autre qu'une infirmière et on serait un peu déçu si Alice n'alignait pas les allusions salaces avec une inventivité qui force le respect. "
She popped the buckle of my Bible belt", pas une seule ligne de texte qui ne soit équivoque, c'est un bel effort ! On se rappelle que le cul constitue quand même un des thèmes majeurs chez Alice Cooper, bien avant la mort, ou à égalité, c'est pas tout à fait incompatible chez lui et en plus, pour le coup, le narrateur est un prêtre !
Et voilà qu'on repart dans le cul-cul avec "Millie and Billie" en duo avec Marcy Levy, joli petit morceau plein de sucre et de bons sentiment au sujet d'un couple d'amants meurtriers. Fusils, sécateurs et sacs poubelle entrent dans la danse dans une atmosphère qui glisse petit à petit dans l'angoisse la plus totale. (il y a une scie circulaire aussi semble-t-il)
"Serious" est un peu plus rock, rock comme Elton John hein, on y suit un nouveau personnage, Jake, consumé par sa violence et une urgence qui préfigure un peu les morceaux des albums à venir comme "Flush the Fashion" ou "Special Forces" (vous aurez droit à des pavés sur ceux là, ne vous en faites pas).
"How you Gonna See Me Now", renoue avec les chansons sentimentales comme "Only Women Bleed" ou "I Never Cry", mais cette fois avec piano à la Elton John (oui je sais vous n'en pouvez plus de lire ce nom, et moi non plus mais bon c'est pas ma faute si...) Honnêtement, ce cri de détresse que lance le chanteur à sa femme est un peu touchant, mais il est aussi nettement moins réussi que sur les efforts précédents. Les paroles sont toujours particulièrement bien senties, mais la forme dégouline un peu trop, même si c'est voulu, pour qu'on y revienne. Dommage car une fois encore le chant est particulièrement poignant et maîtrisé.
"For Veronica's Sake" ressemble étrangement à "Road Rats" de "Lace and Whiskey". On y évoque l'idée d'une évasion en duo, avec peu de succès. Un thème qui reviendra mille fois chez Alice Cooper, jusqu'à son dernier album. La chanson n'a rien de spécialement mémorable malgré un côté nettement plus rock que les autres morceaux de l'album.
"Jacknife Johnny" est nettement plus réussie. On y croise le personnage de Johnny (oui ben oui) qui semble tout droit sorti de "School's Out" ou "Muscle of Love" avec ses jeans, son cuir et son cran d'arrêt. La douceur du ton met en valeur la triste histoire de ce résident, avec une conviction qui rappelle les meilleures compositions du Alice Cooper Band. Entre colère et mélancolie.
La fanfare finit par exploser avec le brillant "Inmates" qui fait passer tous ces personnages pour des pensionnaires du Pays des Merveilles, où c'est bien connu "nous sommes tous fous". La conviction du chanteur y est à son maximum, parfait dans le rôle de lunatique dont on ne saurait dire s'il va vous embrasser ou vous taillader d'un instant à l'autre. Il y a, et oui, j'ose le dire, du John Lennon dans cette chanson. C'est sans doute voulu d'ailleurs, on sait que les deux personnages se sont brièvement croisés au long du "lost week-end", le genre d'influence difficile à gommer. La conclusion vertigineuse de cet album transforme l'assemblée disparate des résidents de l'institut en troupe de comédie musicale de moins en moins coordonnées à mesure que s'étend la coda. On reste entre sourire et malaise, avec du mal à mettre des mots sur ce qu'on vient d'entendre. (oui c'est pour ça que tu as fait une tartine Révérend, fous toi de notre gueule aussi vas-y ! )


Enfin voilà. "From the Inside" n'est pas très facile à aborder. En fait, si. Disons que c'est très pop bondissant, joyeux et, oui eltonjohnnien, mais du coup c'est assez facile de passer à côté du fond de la chose. Alice Cooper est quelqu'un d'intelligent, bien plus complexe que son personnage ou ce qu'on veut en percevoir. Du coup, si on ne fait pas trop attention, on se paume facilement dans les différents virages que connaît sa carrière. En présentant une image grossière, outrancière, il laisse beaucoup de monde passer à côté des subtilités qui font la différence. "From the Inside" aurait pu être un chef d'oeuvre d'introspection (un genre de "Downward Spiral" avant l'heure, bien, bien avant) mais au lieu de ça, avec cette production et cet entourage, il feinte le monde et se révèle être un album assez moyen vu comme ça. Alice Cooper était évidemment à bout au moment de sa sortie, et ça explique le fait qu'il ait confié une bonne partie de l'album à cette troupe menée par Bernie Taupin. Mais en même temps c'est ce qui lui permet de maquiller les failles les plus profondes, exactement comme cette pochette d'album en forme de jeu de cache-cache.

I-Reverend

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7
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