FutureNever
6.7
FutureNever

Album de Daniel Johns (2022)

Fruit d’un travail introspectif presque glaçant de sincérité, Daniel Johns, ex-frontman de feu Silverchair, livre ici une sorte de cri du corps et du cœur. Retranché loin du faste bruyant de la scène et des plateaux TV, l’homme aux dix millions d’albums vendus s’est attelé à bricoler son deuxième effort solo à la maison, refusant tant le jeu médiatique afférant aux grosses productions qu’à jouer en public.


Et c’est peu dire que "FutureNever" donne pour cela quelques explications : en proie à des troubles mentaux qui semblent pour partie relever d’un stress post-traumatique sévère, il vise explicitement les conséquences d’un succès précoce, dans une relecture sombre et malaisante du tube "Freak". Il y fait chanter par Purplegirl (un des nombreux featurings du disque, apparemment attribuable à une jeune fille de son entourage familial) ce qu’il dit être "un pacte avec le Diable" : des tournées à n’en plus finir, au risque donc d’y laisser son âme. Mais comment être ingrat avec ce qui lui a offert le succès, l’argent et la reconnaissance d’une fanbase fidèle, avant même d’être sorti de l’école ? C’est justement peut-être parce que cela est impossible, que Johns semble à ce point tiraillé entre une forme de gratitude obligatoire et l’exorcisation de ses démons, plus vitale encore. D’une voix clairement abîmée par l’alcool, Johns oscille entre chanteur d’Opéra brisé, accents Pop/Rock ou inspirations Soul/R’n’B héritées de "Talk" (2015), un premier album solo qui se faisait déjà un malin plaisir de démolir tout ce qu’un fan de Silverchair pouvait encore attendre de lui. Si ces constants contrepieds exaspèrent bien des nostalgiques du Daniel Johns électrique des années 90, il faut certainement moins y voir la volonté de déplaire qu’une quête éperdue de destruction/reconstruction de lui-même. Car cela peut paraître dingue, mais à maintenant 43 ans, Johns sait encore à peine qui il est.


Le résultat, c’est donc un "FutureNever" passionnant mais cassé de partout. A l’image d’une pochette où la statuette craquelante de Johns montre des signes d’implosion imminente, l’album est fissuré d’imperfections et d’ambitions fauchées. Les falsettos systématiques sombrent parfois dans la caricature d’un canard sous hélium, sans que cela ne suffise toujours à rompre la magie de compositions bouleversantes. Plus troublant encore, la fragilité lyrique du chant – l’oxymore est volontaire – ne renforce que plus encore la beauté triste de morceaux déchirants, lesquels dévoilent sans fard les failles d’un génie presque déchu. "Presque" car tout l’album suinte d’une envie créative débridée, avec tous les paradoxes que peut soulever sa répulsion littéralement maladive d’une notoriété hyper contrariée.


Il y a bien quelques faux pas, comme lorsque dans "Cocaine Killa", Johns s’essaie à des choses relativement convenues, avec une voix pas faite pour ça. Ou comme quand le foutrement monotone "Stand’em Up" se veut Rock sans arriver à la cheville de ses meilleures compositions en la matière. Mais il y a surtout des fulgurances mélodiques folles – le refrain de "Emergency Calls Only" est absolument brillant – bridées par une production bricolée (quoique sauvée des flammes par l'éminent Van Dyke Parks) et un chant fatigué.


Il y a des mises à nue d’une intensité émotionnelle exceptionnelle, que Johns chante avec ses tripes sans se soucier de savoir s’il est encore seulement l’ombre du mec qui a enregistré "Diorama" presque vingt ans plus tôt. Incidemment, c'est parfois en couvrant sa voix d'effets très appuyés qu'il magnifie des mélodies d'une sophistication épatante, quitte d'ailleurs à parer le très Beatlesien "Someone Call An Ambulance" (notez les positivité toujours débridée des intitulés des morceaux) d'un Vocoder surexposé qui tient lieu d'orchestration et tranche avec la vibe d'une écriture très seventies dans l'âme. Et même quand les velléités electro' se font plus sensibles, la charge sombre de compositions explicitement écorchées transcende les beat' dansants, que ce soit notamment sur les très réussis "D4NGRSBOY" ou "Mansions". Car il faut bien le dire, c'est cette noirceur continue, souvent frontale, qui fait office de fil rouge et offre une cohérence à une direction musicale hétéroclite. Débutant brillamment sur le baroque "Reclaim Your Heart", l'album se referme sur "Those Thieving Birds Pt. 3", variation d'une autre composition appartenant à Silverchair : l'ambition symphonico-dépressive du titre, porté par des envolées en falsettos lâchés à pleine puissance – au risque d'ailleurs de crisper les moins rompus à l'exercice – se heurte aux limites de Johns lui-même (répétons-le : il n'est pas le chanteur d'Opéra qu'il tente çà et là de grimer) et à celle d'une production modeste, mais on en sort le souffle court et la gorge nouée. On ne sait plus si l'on a adoré ou détesté ce que l'on vient d'entendre, ou si l'on en a digéré les outrances et maladresses, mais peu de disques ont cette capacité à vous tordre l'estomac. Pour le meilleur et pour le pire.


Reste à espérer que ce "FutureNever" soit la première pierre d'une rémission qui apparaît urgente, parce qu'à l'image de son géniteur, nous sommes bel et bien présence d'un disque profondément malade et qui ne feint jamais de ne pas l'être. Car comme Johns le justifie lui-même : "Truth is beautiful".


MOMENTS FORTS :
- "Reclaim Your Heart" pour sa mélancolie déchirante et son magnifique solo de guitare.
- "Mansions" pour l'âpreté glaçante des paroles, fondues dans un écrin électro' subtil et accueillant.
- "Emergency Calls Only" pour les arrangements magnifiques signés Van Dyke Parks et la puissance mélodique d'un refrain qui frappe en plein cœur.

Yo-Dan
7
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le 28 avr. 2022

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