Songwriting : le mot n'a pas même d'équivalent français. Douceur de vivre, douleur de dire : par ici, avant Miossec ou Dominique A, difficile de ne pas donner dans l'élégance et les joliesses quand il s'agissait de parler de soi, du "je" de société. Les choses changent et la France néolibéralisée, la larme à l'œil mais la colère rentrée, néglige son savoir vivre. Luke, Déportivo, Florent Marchet sont peut-être les enfants d'une frustration dorénavant innée : des garçons et filles qui mettent leurs écœurements et peurs d'un legs dégueulasse en paroles et musiques. Marchet a probablement trop subi la pluie, trop rêvé en anglais : plus qu'un faiseur de chansons, il est un songwriter, mais en français. Avec ses paroles à la finesse delermienne, son chant nonchalant à la Souchon et ses musiques qui alternent sans réfléchir légèreté et brutalité ? étrange passage secret qui relierait Fersen aux Pixies ?, Gargilesse marque un adieu à l'enfance, le douloureux passage à l'âge adulte, quand les cauchemars des petits font les réalités des grands. Pas de fête de bienvenue, juste de bonnes grosses claques. Levallois, majestueuse entrée en matière noble, est une hilarante narration de deux parcours diamétralement opposés, un démontage salvateur des conventions bourgeoises. Le gracieux Tous pareils (lauréat de la compil CQFD des Inrocks en 2003) rempile dans la répugnance de la normalité, des individus aux rêves préfabriqués, aux fantasmes interchangeables. Le très beau (et autre carton potentiel) Je n'ai pensé qu'à moi ne manque pas de courage, cette fierté paradoxale de reconnaître la médiocrité de son entrée dans le rang, de blacklister ses petits manquements quotidiens. Ainsi de suite : Gargilesse, admirable collection de mélodies insouciantes, d'arrangements délicats et de mots patraques, signe l'entrée de Florent Marchet dans la cour des grands désabusés, des grands paroliers. Des grands songwriters.