Mélancolie et mélanine

Pas facile de faire sa place au milieu des intouchables représentants de la chanson française lorsqu'on est fièrement issu de la génération des bb rockeurs, et de surcroît sûrement l'un des chanteurs les plus placardés sur les murs des chambres des collégiennes en 2007.

Le défi était de taille pour Adrien Gallo : assumer une sensibilité déjà esquissée dans certains titres des BB Brunes (notamment avec Long Courrier, leur troisième album, et même avec Confessions printanières, bien antérieure à Dis-moi qui les a propulsés), se dégager, le temps d'un voyage en solo, d'une image un peu volée de rockeur rebelle, tout en utilisant les mêmes outils artistiques qui le caractérisent.

On connaissait son talent de compositeur et de parolier, et on n'est pas déçu en écoutant Gemini. Au contraire, les mots sont plus doux, plus évocateurs encore et plus sensuels. Les mélodies sont tout aussi posées et travaillées, moins brutes et pourtant simples (voir Cornet Glacé). Tous les titres se fredonnent aisément.

C'est la simplicité de Gemini qui est déroutante. Ce ne sont en effet pas des chansons niaises écrites pour plaire à mon moi de 14 ans, mais plutôt un travail d'orfèvrerie marqué par des influences savamment coulées entre elles et parfaitement ciselées. On arrive à un point d'équilibre entre un Gainsbourg un brin provocateur mélangé aux voix lascives ou faussement ingénues de Jane Birkin, de Brigitte Bardot ou de la jeune France Gall (rôles endossés ici par Ella Waldmannen qui apporte, en tant que novice, une spontanéité sensuelle à l'album, notamment avec Copacabana) et la poésie profonde des paroles d'un Daho ou d'un Voulzy.

La comparaison avec Voulzy est pour moi indéniable lorsque l'on écoute La Septième Vague, son album de reprises sauce vacances à la plage. On plonge dans la même atmosphère avec Gemini. L'impression que le soleil cogne sur la peau et que les embruns vont la rafraîchir. La légèreté des vacances et la profondeur de l'amour symbolisées par Voir la mer. Car de l'amour il est bien sûr question dans cet album, et le sujet est traité avec tout autant de sensualité et de profondeur que le thème des vacances et des voyages. Ils délassent et nous donnent du plaisir certes, mais ils apportent également leurs lots de questionnements et de chagrins respectifs.

Bref, dans une enveloppe très légère qui n'est pas sans rappeler l'absence quasi-totale de prise de tête des années 60 ou 80, Adrien Gallo nous fait oublier l'époque actuelle et nous emmène en pleine révolution sexuelle (cf. Monokini). Et si ces années-là sont une période de simplicité musicale, pour la variété française du moins (forme couplet/refrain x2, inspiration voire plagiat de compositions américaines, durées d'environ 2min30, mélodies entêtantes...), imiter sans caricaturer ni plagier ces décennies et leurs artistes phares est une prouesse pour un artiste aussi jeune et qualifié d'ado rebelle depuis plus de dix ans.

Gemini est un album mâture et sensible. À écouter en vacances, en paressant ou en rêvassant à la mélancolie qui succède la fin de l'été. Défi relevé, même Philippe Manoeuvre vous le recommande.