On veut bien croire à un malentendu, à une méprise ? peut-être dus à ce patronyme on ne peut moins sexy ("cuillère") ? pour expliquer l'inintérêt général pour les Américains de Spoon de ce côté-ci de l'Atlantique. On voudrait bien crier haut et fort que ces musiciens n'ont pas choisi ce nom pour affirmer leur goût pour la soupe mais plutôt en référence à un morceau des Allemands de Can. On voudrait bien également forcer les radios à diffuser en boucle l'album Girls Can Tell (2001). Car chez ces Texans, le rock redevient le creuset de tous les fantasmes musicaux. Un peu à la manière des Pixies, dont les meilleures chansons constituaient chacune un univers singulier, doté de sa propre organisation et de ses propres lois, la musique de Spoon est bien plus diversifiée que ce qu'une écoute distraite laisserait paraître. Derrière cette écriture racée, on retrouve la patte du fringant Britt Daniel, songwriter qui serait comme un croisement réussi entre Elvis Costello et Kurt Cobain s'il n'avait pas passé ses vertes années à écouter Prince. Minimalisme new-wave, mélodies pop au scalpel, emprunt flagrant au funk et à la soul et raideur hypnotique du krautrock : l'étrange tambouille concoctée par ce trentenaire cultivé impose d'emblée un ton. Moins rigides que par le passé, plus libertaires et improvisées tout en gardant une approche foncièrement pop, les chansons de ce cinquième album témoignent surtout de l'assurance musicale d'un groupe qui n'a trouvé sa stabilité interne que récemment. Portés par le voix soul de Britt et illuminé par un travail sur le son particulièrement méticuleux, Sister jack, I Turn My Camera on ou le rageur The Beast and Dragon, Adored figurent en tout cas parmi les meilleurs chansons de Spoon.(Inrocks)
Inspirés par la musique des frères Davies, le Bowie de Hunky Dory et The Modern Lovers, Britt Daniel (guitares et chant) et Jim Eno (batterie et choeurs) forment Spoon en 1994. Évoluant en trio avec John Croslin à la basse, ils sont débusqués (et signés sur le champ par Matador) alors qu'ils jouent dans un bar de leur ville d'Austin, capitale du Texas, patrie des Bush, des "rednecks" (traduisez par ploucs fachos) et des exécutions capitales... De quoi être remontés ! Invités à plusieurs reprises sur les tournées de Pavement et Guided By Voices, ils enregistrent l'été dernier et en compagnie d'un nouveau bassiste (Andy McGuire), Gimme Fiction, cinquième opus du trio. Sans ne jamais s'éloigner d'une formulation folk rock somme toute assez classique, Spoon envoie le bois tout en décochant des mélodies imparables. Ce qui les caractérise, c'est l'inventivité de leurs digressions, la variété des chemins de traverse qu'ils empruntent, la soudaineté des attaques bruitistes de la guitare de Britt Daniel, de l'apparition d'un quatuor à cordes, d'un soubresaut électronique ou encore du contre-chant de Jim Eno. Two Sides Of Monsieur Valentine et My Mathematical Mind (un monstre instantané qui renvoie vers Spiritualized) raillent chacune à leur manière l'esprit dérangé des prédicateurs sudistes... Impossible de résister à la power pop de Sister Jack, ni à The Delicate Place et son, euh, délicat (très) gros son, ni au contre-pied musical de Was It You? (une allusion au fait qu'ils aient choisi comme nom de groupe le titre de l'un des meilleurs morceaux de Can ?). Ultime aspect paradoxal de la musique de Spoon : ils ont un son bien plus anglais qu'américain. Divine surprise. (Magic)
Cet album se distingue par un séduisant paradoxe. Assez immédiatement accrocheur, le disque ne laisse pas facilement deviner pour autant ce qui fait sa singularité et l'attrait du matériel qu'il déploie sur onze titres. Une musique qui est, en effet, incontestablement digne d'intérêt sans pour autant être exceptionnelle au sens premier du terme, ni aisément palpable. Pour cette raison, et peut-être à tort, le groupe peut faire songer aux disques judicieusement translucides de Swell, éminemment charmeurs à bien des égards, presque immédiatement familiers ; pourtant également insaisissables et lointains en un sens. Sans doute la voix de Britt Daniels ne joue-t-elle pas un rôle neutre dans cette histoire. Là encore, rien de terriblement marquant sinon l'impression d'entendre son voisin de palier ou un ancien camarade de classe pousser la chansonnette : un timbre clair, un brin dégagé, des intonations justes et agréables, et surtout cette inexplicable proximité qui invite à écouter la suite. Comme si la voix de Britt Daniels, dans tout ce qu'elle avait de commun, était la parfaite synthèse des pop-singers américains de ces dernières années. Car d'Amérique, il est tout de même question ici. Par touches fugaces, par détours et sous-entendus, certes… Mais Spoon est bel et bien un groupe américain (indépendant) qui s'assume comme tel occasionnellement. "I Summon You" rappelle à juste titre ces racines en explorant le versant folk de la formation d’Austin, sur fond d'une batterie tonique, dont on retrouve d'ailleurs sur l'ensemble du disque la patte indispensable au son de chacun des morceaux. Mais c'est une tâche globalement bien ardue de tenter de définir une unité de ton pour l'ensemble des onze titres, même si les arrangements, bien marqués donc par la batterie et emmenés généralement par une guitare acoustique en premier plan, tendent à mener les chansons vers un son un peu sec qui donne une forte homogénéité au disque. On peut presque parler de tentations disco, d'une facture inédite, pour "I Turn My Camera On" alors que "Sister Jack" pourrait être un manifeste pop. Quant au rythme chaloupé de "The Delicate Place", on ne sait pas exactement ce vers quoi il nous emmène sinon vers sa propre évidence. A disséquer un peu en détails l'album, on finit alors par comprendre ce qui nous a plu en lui, qui nous paraissait aussi insaisissable de prime abord : ce sont les chansons elles-mêmes. Inutile de pousser la mauvaise foi plus en avant. On ne peut guère lutter lorsque Britt Daniels entonne le refrain de "The Two Sides of Monsieur Valentine", probablement la meilleure chanson du disque. On aura beau jeu de dire alors que Spoon n'a pas ce je-ne-sais-quoi d'unique qui justifie qu'on s'y attarde. C'est justement dans sa capacité à créer une forme de spontanéité mélodique à partir d'ingrédients largement rodés que le groupe excelle et parvient à livrer un album à ce niveau de maturation. Beau travail. (Popnews)
Trois ans après la sortie du très apprécié " Kill the moonlight " (80 000 exemplaires vendus aux USA, les éloges du Time), Spoon revient sur le devant de la scène indé outre-atlantique avec un radieux cinquième album.Toujours sur le fil, Britt Daniel, maître d'œuvre multi-instrumentiste, et son fidèle compagnon Jim Eno, construisent un univers nébuleux où mélodies pop et rythmiques rock se croisent, fusionnent et se disloquent. Si la formule duo a essoufflé l’inspiration chez quelques formations, Spoon peut se targuer de ne pas être de celles-là. La rythmique et l’originalité galopent toujours du même pied. Samplers, piano, tambourin, saxo, violons affinent les compositions par des ambiances variées, servies par une production efficace et soignée (Mike McCarthy a apporté son doigté au combo). Du plombé The dragon and the beast, Adored au pop The two sides of Monsieur Valentine en passant par le folk I summon you ou le très juteux Sister jack, “Gimme fiction” accroche l’auditeur, tant par ses mélodies nuancées que par le chant rocailleux et envoûtant de Britt.Là où les fleurons actuels de la scène rock s'enferment dans des productions trop formatées, Spoon défie les stéréotypes et claque la porte aux influences. Preuve en est, l'inattendu I turn my camera on, son rythme groovy et son chant à la Prince. Après 10 ans de carrière, Spoon poursuit sa route, tranquillement mais sûrement. (indiepoprock)