Gnossiennes / Gymnopédies / Ogives / Trois Sarabandes / Petite ouverture à danser par Messiaenique

Jusqu’à maintenant, j’ai eu l’opportunité de découvrir les œuvres pour piano de Satie à travers quatre interprètes majeurs : Anne Queffélec, Aki Takahashi, Reinbert de Leeuw et Aldo Ciccolini. Ce dernier est sans l’ombre d’un doute l’auteur des enregistrements-références : sa compréhension de la personnalité du compositeur et son jeu coloré transforment sa prestation en parfait regard sur le répertoire d’Erik Satie. Au-delà de l’aspect technique, son esprit espiègle se sache derrière chaque note. Pourtant, d’autres interprètes ont ma faveur pour certaines pièces. Dans le cas des Gnossiennes, je demande de Leeuw.

Ce chef d’orchestre et compositeur néerlandais, contrairement à Ciccolini, offre une interprétation au tempo extrêmement lent – que certains qualifient sans raison de poussive, voire de neurasthénique. Or Takahashi propose une lecture sensiblement similaire où les Gnossiennes prennent une toute autre dimension ; c’est pourtant sous les doigts du pianiste amstellodamois que l’auditeur est invité à méditer dans une atmosphère plus hypnotique. L’idée de dissonance est présente, quoique plus éthérée. Reinbert de Leeuw paraît comprendre différemment l’écriture de Satie, en lui donnant à sa façon une beauté et une grâce qu’on ne retrouve que rarement – peut-être avec la Suite bergamasque de Debussy.

On pourrait condamner cet album sur divers motifs d’inculpation, qui vont du simple ennui à un détournement perverti des pièces pour en faire de la vulgaire musique de publicité. Certes, Satie est préparé à toutes les sauces, et le pauvre rosicrucien se retournerait dans sa tombe s’il venait à apprendre que son œuvre servait autant les bandes originales de films (Hugo Cabret) que la vente de yaourts allégés. Il me semble pourtant que la vision de Takahashi ou de Leeuw n’est pas fautive. C’est vrai pour toute forme d’art : on ne peut imaginer la musique de Satie d’un même sempiternel point de vue. Cela est d’autant plus vrai que le personnage de Satie, bien que bourru, était assez fantasque et n’aimait pas se prendre trop au sérieux – il suffit pour cela de se fier aux titres de ses compositions. Ne peut-on pas estimer que ce côté facétieux et désintéressé accepterait volontiers n’importe quelle interprétation, du moment que l’interprète partage l’esprit et la logique de la composition ? Certes, lui-même aurait pu penser que de Leeuw plonge dans le pathos ; mais je ne crois pas qu’il l’eût jugé de trop « sérieux ».

Étrangement, les commentaires s’inversent complètement quand il s’agit de la fameuse partition de Vexations, dont les annotations satiriques indiquaient à l’interprète qu’elle devait être jouée 840 fois d’affilée. Soit presque vingt heures de concert. En voilà une bien bonne blague ! Et pourtant, des compositeurs très sérieux comme John Cage ont décidé de prendre cela au pied de la lettre, suivis d’une légion de pseudo-intellectuels. Où est la vérité ? Impossible de savoir si l’art conceptuel est déjà en train de germer en 1893. En revanche, il me semble que certains sont bien prompts à juger de ce qui est juste ou déplacé, sérieux ou non.

Personnellement, je n’arrive pas à placer cette interprétation des Gnossiennes dans une quelconque catégorie. Ce natif des Pays-Bas est reconnu pour ses enregistrements magistraux de compositeurs modernes et contemporains : Messiaen, Ligeti, Kagel, Ustvolskaya, Birtwistle… Dès lors, quand il se lance dans les Vexations, joue-t-il en pensant à Satie ou à Cage ? De plus, ne devrions pas être suffisamment curieux et désireux d’explorer toutes les possibilités de n’importe quelle œuvre d’art ?

http://offthebeatentracklists.wordpress.com/2012/09/12/erik-satie-gnossiennes-et-gymnopedies/
Messiaenique
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le 12 sept. 2012

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