On peut prévoir la foudre, ou s'en prémunir, mais la grâce, elle, touche de ses capricieux doigts d'or là où bon lui semble.
Des Cardigans en 1998, je ne connaissais que le morceau Sick and Tired de 1994 et le fameux Lovefool de 1996 popularisé par le film Romeo+Juliette avant d'être récupéré par Elle & Vire. Si le premier morceau baladait déjà une certaine langueur au cœur de sa pop acidulée, au bord du easy listening, il n'y avait pas vraiment de quoi me préparer à la suite.
La suite, c'est ce jour de 1998 où, sur une Mtv qui passait de la musique pour encore une poignée d'années, je tombe sur le clip de My Favourite Game, réalisé par Jonas Åkerlund, célèbre ses 4 fins différentes (selon les niveaux de censure). Tout y était pour me plaire, l'ambiance de road movie désespéré, le désert Mojave et sa route de bitume brûlant, la Cadillac Eldorado de 1974 noire avec ses sièges rouges, Nina Persson et son faux tatouage (qui finit par dégouliner sur le siège rouge) aussi déterminée qu'inexpressive, et bien sûr, le morceau en lui même avec son riff anorexique impossible à oublier. Difficile pour moi de relier cette expérience à ce que je pensais connaître du groupe.
Je n’ai pas mis longtemps à être convaincu de me procurer l’album pour prolonger l’expérience, ce qui fût une deuxième surprise. Passé la découverte du livret au blanc immaculé et lisse entrecoupé de pâles photos de paysages, je me lance. Au long des morceaux, ne se retrouve pas tout à fait le rock minimaliste de My Favourite Game, mais plutôt une pop déprimée, teintée d’electro, qu’on aurait plutôt imaginée chez Garbage dans ses titres les plus calmes par exemple. Ça tombait bien, en 98, Garbage c’était un de mes groupes préférés (et j’ai déjà eu l’occasion de vous dire que je continue à être un fan absolu de leurs deux premiers albums). Cependant, Nina Persson, loin d’avoir la morgue de Shirley Manson, parcourt les chansons entre contemplation et lassitude, ce qui complète parfaitement les instrumentations désolées des Suèdois. Car oui, les Cardigans sont suèdois, portant ainsi le bagage pop de ce pays incroyablement riche dans ce domaine.
Du dansant Erase/Rewind au final instrumental Nil, le groupe nous convie donc à un voyage sous un soleil de minuit à travers des étendues délavées à perte de vue. Parfois on frôle l’endormissement sur Explode, le rêve lucide sur Starter ou le magnifique Hanging Around (dont le clip mérite lui aussi un petit coup d'œil, il faut voir l’air constamment sévère de la chanteuse). Les chœurs de Higher nous poussent vers le plus pessimiste des gospels, puis sur Marvel Hill où le soleil boréal est toujours éclatant. C’est l’un des morceaux de bravoure de l’album, avec ses dissonances, sa menace difficile à définir et sa voix désincarnée. Bien sûr, My Favourite Game est incontournable, même si son regain d’énergie tranche avec le reste de l’album. A vrai dire, le morceau avait été travaillé à un tempo beaucoup plus lent, similaire à celui du refrain alangui. Le résultat est qu'on a immédiatement envie de rouler, vite, puis de contempler le paysage avant d'accélérer encore, frôlant dangereusement la ligne entre colère et abandon.
Après ce point de bascule, Do You Believe convoque les orgues et une instrumentation electro plus présente, sa lamentation désenchantée ne laissera pas indifférents les Deftones qui en feront une belle reprise en 2010. L’ensemble est si cohérent qu’on a peine à croire que le voyage est déjà près de s’achever quand on glisse vers Junk of the Hearts apaisé et teinté d’une country nostalgique qui caractérisera le projet parallèle A Camp de Nina Persson. Nil, l’instrumental final, boucle sur l’intro de l’album en forme de circuit aux couleurs pâles.
Surprise donc que cet album qui ne me quittera plus dès lors, m’accompagnant régulièrement, sur la route ou pas, découverte d’une facette du groupe que je n’envisageais pas (et je n’avais pas encore entendu leurs reprises de Black Sabbath (ni de Led Zeppelin)),et surtout, observation que la grâce, quand elle touche, peut-être contagieuse, car c’est bien elle qui m’a touché dès la première écoute intégrale de cet album qui devint, et ça je ne l’aurais pas attendu de la part des Cardigans, l’un de mes préférés de tous les temps.