Une flûte. Plus mystérieuse qu'envoûtante. Un je-ne-sais-quoi d'Amérindiens. Puis une basse, de plus en plus fracassées, guitare et batterie. Des ingrédients on ne peut plus classiques donnant pourtant une sorte de drone à intervalles, précisant le mystère initié, précisant quelque chose de dangereux, entre hauteurs et tréfonds, auquel on ne pourra plus échapper.


C'est parti. Du rock de stade ? Avec quelque chose d'effronté certes, mais du rock de stade ? Passée la surprise, on s'attaque au chant plus que moyen d'un homme (J. A. lui-même je suppose). Élément des plus coriaces, il m'a nécessité plusieurs écoutes pour apprécier sa folie renfrognée. Folie renfrognée qui siéra si bien aux harmonies couplée aux chœurs féminins qui apparaissent maintenant. Des chœurs là au contraire divins, parfaits.


Ce rock infernal et humain allant, la flûte revient dans la partie, se faisant plus franche, plus mélancolique que menaçante. Sur elle se pose du spoken word japonais, je pige rien mais c'est beau. Spoken word très vite bombardé de basses comme un tocsin, de chœurs retenus, de saturation glissante. Des éléments récurrents qui se dévoilent inconsciemment et deviennent limpide à la réécoute poussée, ça fait des mois que je le digère pour info. J'y reviens généralement après minuit et finalement, ce n'est pas tant lui rendre hommage que ça.


Toujours du gros bruit, et ce chant qui va de l'approximatif pour tendre vers le carrément tordu, pour le meilleur. Tantôt, se calme, se pose, se "mélodise", comme pour rendre compte d'un appel au Verbe, aux divinités, sous ses aspects immense comme personnel.


Et des transes qu'on voudrait voir durer infiniment plus avec des synthés plus tellement contrôlés.


Le chantre revient sur le devant de la scène, très remonté, dans un décor sonore horrifique. Des sons plus bruts, des chœurs fantomatiques. Une atmosphère des plus lugubres qui paradoxalement est un si bon liant à la pureté qui va suivre.


Des gongs retentissent, aux orgues d'entrer. Et là, résonnant si fort, transpirant par tous les pores de cet être qui ne pourrait être humain, explose le chant cristallin, enveloppant et transcendant en un même temps, d'un oiseau pachydermique. Un chant crié ou un cri chanté probablement bien plus proche du réel cri des dinosaures que la représentation grotesque qu'on nous en fait généralement. Le Ciel si viscéralement invoqué depuis le début de la performance prend forme est fait corps peu à peu avec les instruments terrestres en une union de plénitude.
Les festivités doivent pourtant se retirer. La voix dessine un paysage nouveau, en une langue occidentale savamment utilisée pour être dépassée. Dépassée son austérité, son pragmatisme, dépassée l'administrative énumération des régimes politiques terrestres. Seule transparaît une sagesse infinie, de paix inénarrable. Alors que le spoken word japonais, masculin cette fois, et de prime abord douces percu s'invitent, on sent venir la totale prise de pouvoir de l'espace dans cette 7ème piste. Un magnifique manifeste, une méditation géopolitique qui oublie totalement la géopolitique, le solo repart, les chœurs sont revenus depuis bien longtemps, l'ensemble est si immense qu'on s'y oublie. Même les ratés de l'oiseau, "Repu... Kingdom of Saudi Arabia", portent une insondable beauté, que je qualifierais même d'amour si je n'étais pas sémantiquement frileux.


Bon. Quel choc.


Comme si les quelques spectateurs dérangés de ce concert avaient été enregistrés, on distingue des gémissements, de ces hommes bien trop petits sonnés par la déferlante poétique qu'on vient de leur infliger. Accompagnés de faibles gémissements de la chanteuse que sa performance n'a bizarrement pas tué.
Jusqu'à ce qu'une sirène retentisse. L'idée que "ça" reparte les essouflent déjà, ces pauvres spectateurs désorientés. Ils respirent comme s'ils couraient depuis des heures. La sirène se meut en une mélodie d'orgue cristalline. Mais déjà des sifflotements appellent le final.


Ce final, ce sont la femme et l'homme qui se montrent plus intimistes, avenants, comme au détour d'un café, vendus avec quelques notes synthétiques un peu musettes (les synthés, c'est à nouveau cet esprit rock de stade, mille fois bonifié, infiniment grandi dans ce live). Et qui par deux fois pulvériseront les vitres du café et des fenêtres de la rue à grand renfort de soli de guitares saturés et de nouvelles envolées vocales partagées à qui mieux-mieux. Pour finir dans un chaos non sans panache, consciencieusement capté, pour l'éternel.

michaudmifroid
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le 9 oct. 2017

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