Heart and Soul par Feedbacker
Passons sur le statut culte que le groupe a atteint en 4 ans d'existence (1976-1980), leur place fondamentale dans l'histoire du rock, ou encore leur influence sur la musique de manière générale. Pour ça je vous renvoie à la page wikipédia du groupe, certainement mieux fourni sur le sujet que moi.
Concentrons-nous plutôt sur l'objet présent : Heart and Soul, c'est un coffret de 4 CD regroupant tous les morceaux composés par Joy Division, à peu de choses près. Vous me direz, vu la courte existence du groupe, ça ne devait pas être difficile de faire un tel regroupement. Mais voilà, la discographie de Joy Division n'est pas très claire : si l'on met à part les deux albums studios (Unknown Pleasures, Closer) et l'EP (An Ideal for Living) le reste de leur discographie est plutôt bordélique, et quelques-uns de leurs morceaux les plus emblématiques, comme « Atmosphere » « Transmission » et surtout « Love Will Tear Us Apart », se baladent entre singles et compilations. Ce dernier titre, sûrement le plus connu, ne figure par exemple pas sur Still (1984), mais on le retrouve sur Substance (1988), une sorte de best-of qui donne un bon aperçu de la discographie du groupe, mais fait l'impasse sur certains de leurs meilleurs titres.
C'est là que Heart and Soul vient finalement combler un manque, pour qui veut s'approprier tout ce qu'il y a à entendre de Joy Division. Ca n'est pas une simple (et énième) compilation du groupe, mais on y trouve bien l'essentiel de leur compositions – en cela le titre est fort bien choisi.
Un nouveau découpage des titres ajoute une certaine cohérence : sur le premier disque, on retrouve Unknown Pleasures, mais aussi leurs débuts sur Factory Records (« Digital » en guise d'introduction).
Le deuxième disque démarre avec la version plus électronique de « She's Lost Control » que l'on trouve sur Substance ; en outre, il contient l'album Closer et le single « Love Will Tear Us Apart ».
Je ne vais pas revenir sur ces deux-là, déjà connus.
Le troisième, « Rareties », regroupe l'EP An Ideal for Living avec quelques démos et des extraits des Peel Sessions. On savoure des titres comme « Warsaw » et le son bien plus punk de leurs débuts, où Ian Curtis n'avait pas encore le timbre de voix qu'on lui connaît. On remarque par ailleurs le talent déjà prononcé de Peter Hook pour créer des lignes de basse de génie. Mais on les sent encore jeunes et amateurs, difficile d'imaginer le même groupe composant le magistral Closer à peine deux ans plus tard... La production a pourtant été remaniée pour cette compilation, et il faut reconnaître que le travail est soigné.
Au fur et à mesure que les pistes défilent, on sent la voix de Ian Curtis se définir. Elle s'élève doucement et commence à résonner, à hanter les morceaux. C'est en constatant cette évolution que j'ai compris pourquoi Joy Division, sous son apparence austère, a fini par me fasciner : cette froideur ambiante, le jeu très mécanique et détaché de chaque instrument... Tout cela semble cacher un abîme de désespoir. Ian Curtis s'apparente à un fantôme dans cette danse macabre, prisonnier de l'indifférence qu'il ressent pour ce qui l'entoure.
A noter le spasmodique « Something Must Break » à la batterie endiablée, où l'on ne peut qu'imaginer les prestances scéniques du chanteur ; le très électronique « As You Said » qui préfigure ce que sera New Order ; et le magnifique « Ceremony » qui figurait déjà sur Substance.
La dernière galette contient différents live inédits, enregistrés à Londres entre juillet 79 et février 80, et vaut elle aussi son pesant de cacahuètes : le son de Joy Division se fait plus rock et agressif en concert, la plupart des morceaux joués plus rapidement qu'en studio. "Candidate" et "Autosuggestion" en témoignent bien ; la voix de Curtis s'y fait même plus hargneuse que jamais. Seul hic, le son est un peu crade, mais la qualité-même du concert nous fait vite oublier ce détail. A ce titre je lui préfère quand même l'excellent live Les Bains Douches paru en 2001, où le son est particulièrement percutant.
Je fais presque plus ici la promotion d'un objet commercial qu'une véritable critique, mais il faut remarquer que ce coffret est clairement l'œuvre de passionnés ; ils ont voulu condenser là tout ce qu'est et ce qu'a été Joy Division ; en cela leur travail mérite les éloges. Heart and Soul est certes une compilation, mais pas seulement un coffret pour fans ou l'initiative d'une maison de disque pour se faire un peu plus de blé - le best-of récent de Joy Division rentre déjà plus dans cette catégorie. C'était la démarche nécessaire pour réunir toute la (courte) carrière d'un groupe culte en un support.