Lumière mystique
Lorsque These New Puritans a sorti Beat Pyramid en 2008, il était évidemment impossible de prévoir que leur post punk burné allait muter en une sorte d'opéra mystique et tribal. Quoi, quatre jeunes...
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Il y a eu dans l’histoire du rock quelques albums, très rares, qui ne se sont pas contentés de refléter leur temps : ils ont fait le point sur lui. Curieusement, ils ont en commun d’être sans libido et d’avoir un rapport avec le sacré. Mais non avec Dieu. Plutôt un Dasein, une façon d’être dans un monde qui vous transcende et de se débrouiller avec lui.
En 1975, la froideur factuelle et apaisée du Radioactivity de Kraftwerk fait froid dans le dos tant elle traduit un consentement, une allégeance : « La radioactivité, découverte par Madame Curie, la radioactivité, entrez dans la mélodie, la radioactivité – est dans l’air pour vous et moi ».
En 1979, le Melody Maker décrit adéquatement le Unknown Pleasures de Joy Division comme un « obscur manifeste d’où le sexe a été banni ». Effectivement, les titres égrènent la privation et la négation, mais sur fond de braises mal éteintes, sans les explosions d’énergie ou de frustration de la tradition rock : « Désordre », « Une nouvelle aube s’éteint », « Elle a perdu le contrôle », « Désert », « Je ne me souviens de rien »…
Et voici qu’en 2010 These New Puritans réalise avec Hidden une synthèse terrifiante entre le consentement froid de Radioactivity et le feu dépressif de Unknown Pleasures. Le résultat est une messe noire composée dans le tissu même de l’instinct de mort ascendant dans le ciel noir de notre civilisation.
Comme son intensité la rend presque impossible à écouter de bout en bout, je ne parlerai ici que de l’envoûtant We Want War, une composition sauvage, somptueuse et implacable, si intimidante dans sa perfection qu’elle peut être considérée comme l’ambassadrice de l’album. Elle commence par un motif obsédant troublé par le borborygme préhistorique du titre (We-Want-War), puis le chanteur se met à psalmodier par-dessus (We-Want-War) et les percussions attaquent, prééminentes, agressives (We-Want-War). We-Want-War, psalmodie, We-Want-War, percussions, We-Want-War. Psalmodie, motif orchestral funèbre. Psalmodie monocorde, percussions implacables (We-Want-War, plus en retrait). Un intermède orchestral funèbre, de plus en plus dramatique, le son d’une épée qu’on tire d’un fourreau. Entrée des chœurs en transe. Percussions agressives. Orchestre menaçant, funèbre. Psalmodie plaintive. Tout se mélange, sauf le borborygme et le motif entêtant qui se sont retirés après avoir déchaîné l’enfer. Culmination par vagues. Le son d’une épée qu’on tire d’un fourreau. Retombée. Oraison orchestrale funèbre, funèbre.
Funèbre.
Regardez la pochette : dans ce Hidden, ce qui est caché, c’est la lumière. Nous sommes ici à mille lieues de la progéniture pleurnicharde (et abondante) dont Joy Division nous a affligés. Noir c’est noir : il n’y a PLUS d’espoir.
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le 8 févr. 2017
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