Septembre 1970.
Alan "Blind Owl" Wilson se couche au milieu des séquoias géants de Topanga Canyon et s'endort pour l'éternité laissant le Blues orphelin d'un multi-instrumentiste génial et du plus grand harmoniciste de tous les temps (« the greatest harmonica player ever ») selon John Lee Hooker.
La Chouette Aveugle s'injecte son venin une dernière fois aux pieds de ces colosses centenaires et laisse derrière lui ses culs de bouteilles, son militantisme écologique farouche et sa violente dépression qui lui collait au cul comme sa putain d'ombre.
Maman Blues pleure son petit dernier, le plus fragile, le plus malade et peut-être le plus doué.
Le petit cul blanc couvé par les ancêtres noirs, le vilain petit canard adopté par la grande fratrie du Blues.
Le studieux et très héroïné Wilson s'en est allé, sa gratte sur le dos, attendre le bus pour l'enfer; seul au milieu de ce putain de Crossroad, attendant de retrouver la vieille carcasse maudite de Robert Johnson.
Wilson n'est plus.
En ce début des 70's John Lee Hooker débarque sur la côte Ouest pour tenter de relancer sa carrière.
Au milieu de ces hippies en fin de carrière, ce mouvement utopiste et libertaire dont Woodstock venait de sonner le glas, la silhouette dégingandée et le chapeau usé du Hook ne passent pas inaperçus.
Woodstock justement. C'est là que Canned Heat a explosé aux yeux embués des Beatniks lobotomisés et du monde de la musique en général.
C'est le revival sous LSD du blues antique. Canned heat remplace la bouteille de whisky artisanale qu fait broyer du noir par le papier buvard tout aussi artisanal mais qui fait voir la vie en rose.
la réputation de ces Bluesmen blanc, de leur Guitariste/ Pianiste/ Harmoniciste/ Chanteur et de leur honnête passion pour le Blues originel (et également du succès qu'ils rencontrent en ce début des seventies) amènent l'ancienne génération à se pencher de plus près sur ces gamins hirsutes aux pupilles bien trop dilatées.
Mais c'est avant tout un disque de John Lee Hooker que ce double album de 1971.
Durant toute La première partie, le vieux s'installe peinard sur son rocking-chair branlant et fait la leçon aux gamins assis bien sagement devant le maître.
Le Hook balance son Boogie chaud et bancal au visages fascinés et hallucinés des mômes imbibés.
Une guitare balafrée, une voix qui a traîné tous les bars poussiéreux de son Mississippi natal et un pied, son immense panard, qui frappe le sol et rythme ce Blues séminal.
Hooker revisite son répertoire, l'énerve un petit peu, le Rockifie, le baigne dans l'air du temps.
Alan Wilson est encore présent sur ce double. Ce sera son album posthume.
The Blind Owl est encore là et tant mieux. L'harmonica charnel de Wilson donne corps, file encore plus de chair aux reprises très inspirées de Drifter et You Talk Too Much.
C'est ensuite le piano que le génial Wilson fait pleurer sur un The World Today dépouillé et aride que seule la voix envoûtante du vieux viendra arroser d'un supplément d'âme.
Un double album (un peu trop long) à la croisée des époques.
Le vieux Blues du Delta, profond, enraciné, noir comme l'ébène croise le chemin des Hippies aux yeux rouges, blancs comme des culs mais au respect absolu pour la musique Noire des origines.
La rencontre de deux générations, de deux couleurs, de deux âmes.
Un Boogie radical et intimiste qui relancera la carriere du Hook et clôturera celle du Owl.
Les deux en beauté.
The World Today
ou
Drifter