Horses
7.7
Horses

Album de Patti Smith (1975)

Pionnière de l'esprit punk, mais pas que...

La première moitié des années 1970 a été dominée par la virtuosité et les structures complexes du rock progressif. Mais, à mi-chemin de la décennie, le paradigme prog vit ses dernières heures. Déjà, le glam rock des New York Dolls et le proto-punk des Stooges ont marqué une aspiration au retour vers une certaine simplicité, privilégiant le génie de la spontanéité sur celui de la construction. C’est dans cet esprit que s’inscrivent une poignée d’artistes de la scène underground new-yorkaise, que l’on croise alors dans des clubs comme le CBGB. Television et Patti Smith y font vibrer l’assistance, bientôt suivis par Blondie, les Ramones, le Cramps ou encore les Talking Heads.


Paru en 1975, l’album Horses s’impose vite comme une pierre angulaire de cette scène. La jeune Patricia Smith a eu un passé semé d’embûches, entre l’éducation très religieuse de sa mère, une radiation de l’école normale pour cause de grossesse et les galères pour trouver de quoi se nourrir et se loger. La première phrase de l’album, récitée sur un piano qui nous emporte tout doucement, illustre brillamment l’esprit punk qu’elle se fait alors une joie d’incarner : « Jesus died for somebody's sins but not mine ». C’est un vente de libération qui souffle : la promesse que rien ne pourra désormais l’arrêter. Et la batterie s’emballe, tout s’accélère, Patti Smith s’enthousiasme, s’époumone, éructe, explose !


Artiste protéiforme qui s’est essayée à la peinture, à l’écriture, à la musique et à la photographie, elle mobilise sur cet album à la fois ses talents de rockeuse et de poétesse. Inspirée par les poètes symbolistes et ceux de la beat generation, elle livre des textes puissants et évocateurs, qui acquièrent la sincérité bouleversante d’un Lenoard Cohen sur des vers tels que « Ice, it was shining / I could feel my heart, it was melting ». Mais ce n’est pas tout : d’une certaine manière, elle mobilise également des talents de metteuse en scène à travers sa manière très visuelle de gérer certaines transitions, ainsi que des talents d’actrice à travers son chant qui passe habilement d’une émotion à l’autre et brouille les frontières avec la parole. Tout à tour déchirant, enthousiaste, illuminé, son flot de paroles exerce une fascination qui tient en haleine, à l’image d’une chevauchée intrépide sur la terre ferme.


Cette attitude de frontwoman passionnée et hors de contrôle est très caractéristique de l’esprit punk. Pourtant, Horses se laisse difficilement enfermer dans la case d’ « album punk ». Et si c’est le cas, on est plutôt dans un genre de punk sophistiqué et friand des crossover, comme le prouvent l’introduction jazz vocal de « Birdland » et le reggae-rock de « Redondo Beach », annonciateurs de titres à la cool du London Calling des Clash tels que « Spanish Bombs » ou « Revolution Rock ». Quant à l’agréable et très efficace « Kimberly », il est habité d’un orgue sonnant post-punk avant l’heure. Par-delà cet éclectisme, la voix de Patti Smith mais aussi le jeu de piano mélancolique de Richard Sohl et les effets souvent aériens qui sortent la guitare électrique de Lenny Kaye confèrent à l’album son unité et sa singularité.


Horses est, en quelque sorte, un album d’esprit punk qui se nourrit d’influences sixties et anticipe le rock alternatif des années 1980 et 1990. On entend les Rolling Stones dans le refrain de « Gloria », tandis que le style de « Land » évoque les expérimentations du Velvet Underground qui, à l’instar de Patti Smith, sonnait très en avance sur son temps. Tout comme le groupe de Lou Reed et John Cale (qui a d’ailleurs produit Horses, mais apparemment c’était assez tendu…), Patti Smith peut se targuer d’avoir suscité des vocations et de retrouver son héritage chez une multitude d’artistes de rock alternatif, tels que The Smiths (rien à voir avec la famille), PJ Harvey, R.E.M ou encore Radiohead.


En dépit de son avant-gardisme, Patti Smith ne se positionne pas comme hors-sol mais tient au contraire à faire honneur à ceux qui l’ont précédée. Cela passe entre autres par des emprunts profondément revisités sur les deux morceaux-fleuves que compte l’album : Van Morrison pour « Gloria », Fats Domino et Chris Kenner pour « Land ». Elle rend aussi hommage aux musiciens du « Club des 27 », décédés à l’âge de 27 ans : « Break It Up » s’inspire d’une visite à la tombe de Jim Morrison au Père-Lachaise, tandis que le morceau de clôture « Elegie » à l’onirisme psychédélique est un hommage à Jimi Hendrix. Mais rassurez-vous Jim, Brian, Janis, Jimi : Patti est là, qui prend la relève !

Créée

le 26 nov. 2020

Critique lue 101 fois

2 j'aime

Critique lue 101 fois

2

D'autres avis sur Horses

Horses
EricDebarnot
9

Icône et poésie

Robert Mapplethorpe a créé avec la belle photo classique de la pochette de “Horses” plus qu'une nouvelle passionaria du Rock : une icône. Elégance, classe, street credibility, légère arrogance, Patti...

le 13 août 2014

21 j'aime

8

Horses
jeanmariebran
9

L'ouragan Patti

Vous avez entendu parler de l'ouragan Patti ? Un jour de novembre 75, elle est venue souffler sa voix au creux de nos oreilles musicales, et sur son passage, elle a emportée avec elle, un paquet...

le 18 janv. 2013

8 j'aime

2

Horses
Biblio_Anglet
8

Critique de Horses par Biblio_Anglet

Patti Smith, c'est une re-découverte. Je ré-écoute Patti Smith depuis la sortie de son livre Just Kids, et c'est un bonheur ! Ce n'est pas que le reflet du rock des années 70, du New-York de Lou...

le 20 juin 2012

5 j'aime

1

Du même critique

Starless
Kantien_Mackenzie
10

And the sign signals emptiness for me...

Si vous cherchez des réponses à des questions telles que… Pourquoi dit-on que l’Angleterre l’emporte largement sur la France dans le domaine du rock ? A quoi reconnaît-on une écriture surréaliste...

le 11 avr. 2015

48 j'aime

5

Rubber Soul
Kantien_Mackenzie
10

Introspection, psychédélisme et émancipation

1965 est une année décisive en musique, en particulier pour un quatuor déjà mythique qui livre en quelques mois d’intervalle deux de ses plus grandes pièces. Si Help! était le sommet de ce que John...

le 11 mai 2014

27 j'aime

1

Atom Heart Mother
Kantien_Mackenzie
9

Du psychédélisme au rock progressif

Tout le monde sait que Pink Floyd a réalisé "l'album à la vache", mais le contenu exact de cet album est injustement méconnu. Pourtant, c'est l'une des pierres angulaires du rock progressif,...

le 11 mai 2014

26 j'aime

1