Temporary Residence a eu une excellente idée en rééditant ce premier album d'Explosions In The Sky, enregistré en deux jours et gravé à l'époque (en 2000) à 300 exemplaires, le groupe était passé assez rapidement à autre chose en confessant que s'ils avaient pu recontacter les acheteurs un par un pour détruire tous les exemplaires, ils l'auraient fait... A l'écoute des sept morceaux de cet album, il faut croire que les Texans n'ont pas eu les moyens ou le temps d'appliquer à la lettre le schéma qu'ils avaient en tête et qu'il en a découlé une certaine frustration, puisque malgré les stigmates du premier jet, "How Strange Innocence" peut être considéré comme un des albums importants du post-rock. La production, beaucoup plus brute que sur les opus suivants ("Those Who Tell The Truth...", "The Earth Is Not a Cold Dead Place"), doit sûrement faire partie des aspects que le groupe auraient voulus différents. Cet album peut être assez facilement rapproché du "Ten Rapid" de Mogwai. Les deux disques ont cette même base brute guitare-basse-batterie poussée dans ses derniers retranchements pour qu'elle transporte, pour qu'elle grise quiconque l'écoute. On y devine aussi l'évolution des deux groupes, la face ténébreuse, inquiétante (l'orage qui gronde) de Mogwai ainsi que leurs envies d'expérimentations électroniques, et pour Explosions, on ressent cette dynamique, cette volonté d'éclairer le son (l'éclaircie et l'arc-en-ciel qui transperce) et ce penchant pour les guitares sans aucune incursion vers les beats synthétiques ou les samples. L'album commence par un des titres les plus sombres, "A Song for Our Fathers", les guitares viennent affoler l'ensemble dans un final bastonné à la batterie. Dès le deuxième titre, les Texans flirtent avec le sublime dans une chanson de huit minutes qui symbolise, à elle seule, tout ce que leur musique peut évoquer sans la moindre parole. La batterie est à nouveau aérienne et magnifie les éclairs de guitares. "Time Stops", un peu plus tard, passe par tous les états et finit par un maelström de guitares hallucinant, chaque nouvelle couche apportant au fur et à mesure de la progression une nouvelle teinte au morceau. "How Strange Innocence" termine son vol tout en douceur par une longue ballade qui s'applique, elle, à ne surtout pas partir en vrille ("Remember Me As a Time of Day"). Devant tant d'ingéniosité et de mélodies fourmillant dans un cadre aussi strict, il est difficile de se ranger derrière l'avis du groupe et de déconseiller l'album. "How Strange Innocence" est, au contraire, vraiment captivant et constitue un excellent contre-argument pour ceux qui trouvent le post-rock un peu chiant aux entournures. (Popnews)
Il y a toujours raison de s’interroger sur l’intérêt porté aux albums perdus, dits « cultes », dont la renommée s’appuie davantage sur leur caractère impossible à dénicher que sur leur valeur intrinsèque et artistique. Un véritable piège pour musicomaniaques, car pour un I am the Cosmos de Chris Bell, combien de cafardeuses exploitations de démos des Go-Betweens, Prince et autres exhumations de groupes psychédéliques 60’s mineurs... How Strange Innocence se situe un peu entre les deux : moins bon que ce qui suivra, mais tout de même digne d’intérêt. Tout comme ce fut le cas pour le merveilleux Tigermilk de Belle & Sebastian, le premier album d’Explosions in the Sky a bénéficié de cette intrigante aura : adulée par quelques fans qui ont réussi à mettre la main dessus via Internet, mais reniée par le groupe lui-même jusqu’à présent. Rétrospectivement, ce premier essai n’avait en son temps été tiré qu’à 300 exemplaires. Mais tandis que leur cote grimpait depuis le titanesque Those Who Tell The Truth Shall Die, certains CD-R originaux d’How Strange Innocence se sont arrachés par la suite jusqu’à 200 dollars sur Ebay, voire 500 dollars pour l’édition vinyle vendue uniquement en tournée ! Devant l’appel désespéré des fans de ne pouvoir acquérir un album inédit de leur groupe fétiche, nos explosifs post rocker d’Austin ont cédé, rééditant l’objet avec un nouveau visuel (pour que l’original demeure une pièce de collection ?), remasterisé avec un son présentable. Enregistré en deux jours dans une bulle (les studios Bubble) en janvier 2000 (le livret stipule pourtant juillet 2000), nos quatre texans n’en étaient alors qu’à leurs balbutiements, mais qu’est-ce que ça bouillonne déjà ! Tiré à l’époque en quantité ultra-limité, il conviendrait peut-être d’en conclure qu’How Strange Innocencefut confectionné à l’intention des proches et amis du groupe, sans ambition aucune que d’immortaliser quelques compositions encore en quête d’identité... Et pourtant, Michael James, Munaf Rayani, Christopher Hrasky et Mark T Smith maîtrisent déjà les ingrédients qui feront d’eux un des groupes les plus passionnants du giron post-rock. Il y a déjà ici, à travers ces 7 instrumentaux épiques - 48 minutes tout de même au compteur - la clé de voûte de ce qui constituera leur style : mélodies apocalyptiques, mélancolie intense et accélérations noisy troublantes. Un peu plus timide dans l’ensemble que son successeur, le spectaculairement rageur Those WHo Tell The Truth Shall Die (2001), How Strange Innocence se rapprocherait finalement de leur troisième opus, The Earth Is Not a Cold Dead Place(2003). Les instrumentaux sont axés sur un son clair, porté par une rythmique qui a tendance à s’emballer. Les mélodies sont filtrées par une guitare n’abusant pas de distorsion mais plutôt un delay profond et cristallin. C’est ce que nous démontre le premier titre, “A song for our fathers”, qui se réveille lentement avec une mélodie très sombre, puis décolle à mi-chemin avec une rythmique jonglant sur un motif glaçant de guitare claire. Si on reconnaît que l’intensité n’égale pas encore les meilleurs morceaux du groupe à venir, cette « étrange innocence » charme assez facilement. Parfois, on sent qu’ils ont manqué le coche de peu, “Magic Hours” nous laisse sur notre faim malgré un début prometteur. On préférera ainsi l’interprétation scénique, plus vengeresse. Pour les amateurs de décibels, “Time Stops”, le titre le plus énervé du lot, réenclenche les pédales distorsion pour un joli final tout en larsen extasié. Malgré un relifting sonique, certaines compos pâtissent toujours d’une production somme toute assez bridée. Mais même si ce disque est le moins bon du lot, on connaît certaines formations post-rock qui se damneraient pour maîtriser une telle tension. (pinkushion)