Point final.

Le rap est un genre tellement large qu'il est presque facile d'y trouver sa place. Cependant, comme pour tous les autres genres, ça devient plus complexe de proposer quelque chose de nouveau et d'original. Big Sean a d'ailleurs bien foiré de ce côté là le long de sa carrière, dont seuls quelques morceaux où il n'est pas seul sont à garder. Malgré tout, le potentiel qu'il développe dans ses apparitions chez d'autres artistes laisse planer jusqu'à aujourd'hui une possibilité de se rattrapper. Et c'est avec son troisième album studio, I Decided., que cette possibilité se concrétise.

C'est sous la forme d'un album narratif sombre que le rappeur montre le plus large éventail de ses capacités jusqu'ici. Se reposant sur une atmosphère globale très travaillée, Big Sean reprend des codes du R'n'B pour les mélanger avec ce que Drake proposait dans If You're Reading This It's Too Late. Il ne faut pas chercher ici une révolution quelconque, mais les morceaux sont d'excellente facture dans leur domaine. On dénombre trois productions de Metro Boomin, la 808 Mafia n'est pas loin non plus, inutile donc à ce stade de préciser que de ce point de vue le projet est solide. Pour ce qui est des guests, la présence d'Eminem (méconnaissable au début de son couplet) a de quoi surprendre, et les Migos subliment le gigantesque Sacrifices. La voix de Big Sean ressemble parfois à s'y méprendre à celle de Drake, On ressent aussi des influences claires de Kanye West (Inspire Me, Bigger Than Me), d'A$AP Rocky (Halfway Off The Balcony, Voices in My Head) et de la Trap d'Atlanta (Moves, Bounce Back).

La première voix que l'on entend dans l'introduction est celle d'un homme âgé, que l'on finit par identifier: c'est l'alter ego de Big Sean qui tente de raisonner ce dernier pour le ramener dans le droit chemin. Il évite (par honte?) des appels répétés de sa mère dont il est pourtant proche pour finir l'album sur un dialogue avec elle. On comprend alors lorsque la voix de Big Sean et celle de son alter ego se chevauchent et que l'une remplace l'autre, que Big Sean a atteint la sagesse qu'il recherchait.

Les différents thèmes abordés dans les paroles ne changent pas des obsessions usuelles du rappeur, mais il s'améliore ainsi à les formuler et les aborder. Car c'est là l'un des rares points forts de Big Sean: il sait parler de lui. L'exemple le plus marquant est le dyptique Voices In My Head / Stick To The Plan, dont les titres parlent d'eux même. Le changement de rythme qui y est placé est intéressant quoique futile et accessoire, surtout vu l'aisance que le rappeur a dans la reprise du rythme rapide en fin de piste.

Je reste marqué par Jump Out The Window qui se révèle être un inédit dans la discographie de Big Sean. Chanté sur la plupart de sa durée, soutenu par une production incroyablement infectieuse, c'est l'un des moments les plus éloquents de l'album.

Ainsi, I Decided. est tout sauf le meilleur album de l'année, mais c'est le meilleur projet de Big Sean et peut-être le début d'une progression vertigineuse. L'ambition dégagée est indéniable et sur la plupart des pistes les efforts fournis sont à la hauteur.