Mais pourquoi aimez-vous tant ça ?! C'est atroce, pour moi, de me placer en opposition à trois de mes éclaireurs favoris ! Je me sens trahi, et j'ai l'impression de vous trahir en prime, c'est horrible !
Mais n'entendez-vous pas tous ces jeux de comas qui sont autant de tortures disgracieuses pour l'oreille ? Et l'on s'en donne à cœur joie, on écarquille les tons, on en glisse un ici, on en enlève un autre là...
Mais, sérieusement, moi jouer avec les quarts de tons, bien entendu, ça a même donné des œuvres fantastiques un demi-siècle avant, mais il faut alors savoir un peu comment s'y prendre.
Voyons les choses en face : quand on fait de la musique tonale, on se doit d'être tonal. Sinon, c'est faux. Atrocement faux. Atrocement dérangeant, et surtout d'une laideur sans nom.
Mais si ce n'était que ça le problème... Le problème, et c'est un problème que j'avais déjà rencontré avec ses morceaux que j'aime bien, c'est que Joe Meek, c'est un bien piètre harmoniste. Il n'a aucun sens de la force que peuvent avoir l'enchaînement des accords, et fait absolument n'importe quoi. Concrètement, qu'est-ce à dire ? Modulations ridicules et faiblesses harmoniques constantes. Et bien ce n'est pas propre.
Là où il se rattrapait, c'est à l'inverse par ses qualités de mélodiste. Étranges ses mélodies, certes, mais il y avait un je-ne-sais-quoi ou un presque-rien qui rendait tout ça bizarrement attractif. Ça marchait. Le problème c'est qu'ici il noie (c'est le cas de le dire) tout ça sous des tonnes d'effets tant électroniques qu'harmoniques qui sont rarement de très bon goût, et bien souvent d'une lourdeur indescriptible.
Car cette impression constante d'être sous l'eau en écoutant cette musique ne m'a pas procuré le plaisir escompté, et l'expérience tient malheureusement plus de la douche froide que de l'immersion annoncée. La faute à cette impression de flou constant, on se croirait chez Debussy après l'heure, re-saucé par le travail du timbre. Là je trouve un point positif, enfin, en partie. C'est plein de bonnes intentions. Le fait est qu'il y est tellement lourdingue encore une fois que ça ne fait que rendre sa musique... lourdingue. Ah, ce cher esprit de litote, le voici bien enterré.
Bon, puis sans parler de la finesse du titre de l'album, des fois que l'on ait pas compris le propos de la chose, il faut savoir être un peu critique avec ce que l'on nous sert. Ne pas accepter une musique sous le seul prétexte qu'elle est, au choix : expérimentale/en avance sur son temps/différente/méconnue/oubliée.
Je veux bien reconnaître à la chose tout ce que l'on veut de cet ordre, et sur le papier, ça fait foutrement bien, seulement la musique s'écoute avec l'oreille – et le cerveau – avant tout. Et c'est bien là que ça coince. Le passage de la théorie à l'écoute, diable, que ça fait mal.
En parlant d'oreille, Joe Meek travaille beaucoup avec, paraît-il. Je crois que c'est ici qu'il faut chercher la source du problème, dans ce Van Gogh musicien, cet estropié de l'organe auditif. Et en même temps, je reconnais que c'est amusant. Tout semble passer par son cerveau et en ressortir malade, chétif (car sa musique est extrêmement chétive), et... différent. Ce qui en soi n'est pas un défaut, au contraire ! Mais, pour la dernière fois, ce n'est pas non plus une qualité. C'est important de retenir ça. De la musique de l'espace, bien sûr ! Mais bien faite, s'il vous plaît.
Joe Meek n'était pas fait pour révolutionner la musique, mais pour produire une pop de qualité souvent douteuse, mais avec quelques morceaux dans le tas d'une puissance inouïe. C'est déjà ça.
Je retourne maintenant me laver les oreilles avec la douce Angela Jones que je retrouve à son casier, et le laisse continuer à jouer pour les poissons.