Moi, je consomme, sans vraiment produire. J'ai donc un peu de mal à me mettre dans la peau d'un artiste.
Pourtant, si j'étais connu et reconnu, iconisé et idolâtré, ma plus grande peur serait sans doute de faire mon "oeuvre ultime". J'entends par là : Créer quelque chose de tellement fédérateur qu'il en éclipserait toute la suite de ma carrière.
Illmatic est sans nul doute l'exemple parfait d'une transcendance artistique.
En 1994, j'avais 6 ans, presque 7. Les seuls débats musicaux à la maison, c'était pour valider la "puissance décibélique" de Led Zep ou d'AcDc.
De mon côté, j'étais en pleine phase de découverte, celle durant laquelle on essaie tant bien que mal de se défaire de l'emprise culturelle de ses parents. C'est celle où on fait des découvertes bonnes comme mauvaises, mais qui marquent le restant de notre existence.
Les goûts s'affirment et s'affinent, parfois on assume, parfois pas. C'est comme battre la mesure sur un beat des 2B3s, on sait qu'on le payera un jour, mais au fond le son n'est pas si dégueu.
Par le truchement de mes grands cousins, j'avais pu écouter des choses nouvelles, comme le "The Chronic" de Dr Dre ou "2pacalypse Now" de Shakur, et j'étais déjà convaincu que cette fraîcheur californienne me suivrait à travers les âges.
Bon, tout ça c'est bien beau, mais c'est simplement une côte des Etats-Unis, celle où il fait chaud 360 jours par an. Il se passe quoi de l'autre bord, à New York ?
Biggie était encore inconnu dans nos contrées, et niveau son hexagonal la guerre faisait déjà rage entre IAM et NTM dans les cours de récré...
C'est par une belle matinée de printemps, sans plus de précision, que je tombe sur le chef d'oeuvre de Nas.
J'étais encore très loin d'apprécier les volutes de fumée d'un cigare entamé ou la saveur d'un whisky presque frelaté (je rappelle que j'ai 6 ans), ma connaissance du Jazz est alors inexistante. Pourtant, je m’apprêtais sans le savoir à entrer de plein pied dans cet univers bétonné à la saveur si particulière.
Parce que "Illmatic" de Nas, c'est ça. Brooklyn dans toute sa splendeur. Le Fender Rhodes et les fantômes de cuivres résonnent encore sur le CD.
Les pistes s’enchaînent avec une cohésion presque déconcertante, tant l'album est travaillé en tout point.
Bien souvent, et même sur de très bon disques, il y a toujours le morceau 'pas nécessaire'. Celui qui n'est pas mauvais mais que l'on zappe à la dixième écoute. Parfois c'est un interlude ou ce genre de truc pour meubler.
Dans "Illmatic", rien n'est à mettre sur le côté. Chaque morceau raconte sa propre histoire, et contribue à celle du disque.
C'est l'album ultime, et en même temps le premier opus d'un artiste qui récidivera quelque temps plus tard.
Finalement, c'est peut être là le seul hic avec "Illmatic".
ça doit être difficile de faire mieux que le must du must. Dur de sortir un deuxième album lorsque celui qui vous propulse devient un objet de culte dans une communauté alors grandissante.
Nas n'a pas inventé le style de la East Coast, mais il l'a sublimé sans nul doute.
Et cet album est, et restera un classique pour les amateurs de Hip-Hop, de Jazz, et simplement de musique.
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