Caméléon Joe débarque en 1979 avec cet album sec et tendu. Jamais l'urgence de jouer ne semble avoir été si palpable pour ce musicien ultra-doué que sur cet album. Cette urgence ne semble avoir d'ailleurs d'égal que celle de nous refourguer la galette en douce, comme l'illustre la pochette où le musicien apparaît en vendeur de babioles, à la sauvette, et sous le manteau.
Voilà donc une petite collection de chansons terriblement dansantes au style navigant sans se poser de question entre new-wave, post punk, ska (canal historique) et pop.
L'unité des morceaux est assurée par des lignes de basse d'une redoutable efficacité anglaise : l'instrument directement branché dans l'ampli, joué au médiator, sans aucune fioriture mais avec une influence reggae digne des meilleurs mariages punk savants de l'époque (on pense pêle-mêle au Guns Of Brixton des Clash, aux Stiff Little Fingers, Damned, Buzzcocks et autres 999).
Les guitares électriques se font discrètes et sèches. Pas de solo inutile, uniquement de la rythmique en son clair. L'art du dépouillement encore. Le choix du melodica pour pimenter certains des titres sera la seule entorse à ce minimalisme, et c'est avec étonnement que l'on constate que pour une fois cet instrument n'a pas mal vieilli.
La voix est blanche et tranchante. On la pense elle aussi directement branchée dans un ampli, débarrassée de tout effet pour mieux nous électriser. Et dans le même temps il faut bien convenir que Joe Jackson sait chanter, à la différence de beaucoup des groupes précédemment cités !
Chaque morceau de l'album est potentiellement un tube qu'aurait voulu écrire n'importe lequel de ces dizaines de groupes pseudo arty/post-punk qui fleurissent à l'heure actuelle. Pas un pour rivaliser cependant : ici tout n'est que dépouillement, nous l'avons dit, et allers directs sans retours, alignés un à un avec un sens de la petite mélodie pop sans égal.
On sort de cet album comme d'un combat de boxe, ou d'un sprint, un peu essoufflé et encore étonné de notre traversée musicale à 100 à l'heure.
Alors qu'il nous laisse exsangue sur le bord de la route, Joe Jackson est déjà d'ailleurs parti bien loin. Non satisfait d'avoir réalisé un petit brulôt minimaliste, le caméléon sortira moins de deux ans après et pour quelques temps des albums radicalement opposés, remplis d'influences jazz dégoulinantes et parfois tout à fait indigestes, il faut bien le dire.