En 1966 Albert Ayler enregistra une émission pour la BBC. La télévision Britannique fut horrifiée, les responsables mirent les films sous clé et plus tard les firent détruire avec d’autres programmes jugés inutilisables ou sans importance…


S’il est un personnage hors-normes, incompris, maudit même, c’est Albert Ayler. Victime d’ostracisme, encore aujourd’hui détesté, voire moquer. Pourtant il en a fasciné des auditoires, subjugué des musiciens, défrichant avec son énorme vibrato des territoires restés encore abandonnés. Malgré les années, sa musique reste moderne et inégalée, pour toujours inimitable, définitivement à part, tous les limiers du free-jazz, les découvreurs de territoires inconnus se sont arrêtés aux portes de cet univers là. C’est qu’il faut une âme bien trempée pour y pénétrer, une âme d’enfant matelassée du plus épais des cuirs… Comment ne pas voir la générosité presque effrayante de cette musique qui se livre avec un total abandon, sans fard ni fioriture ?


La musique d’Albert Ayler est une eau qui coule avec abondance, pleine de pureté, elle a la puissance de la tornade dans le désert, elle vous emporte et vous emmène, disséminant la semence qui fait les grands arbres, nobles et fertiles…Elle ne s’explique que comme un don de soi, un acte d’amour irraisonné. D’aucun trouveront ça gênant…


Pourtant, après son passage, avant de rejoindre les anges et les esprits, plus rien ne sera comme avant. Il a délimité un nouvel espace dans lequel il aime à promener le son si fougueux et si sauvage de son instrument, utilisant le cri pour exprimer la plainte et soigner les âmes. Certains, comme David Murray, David S. Ware, Frank Lowe ou Peter Brötzmann seront à jamais touchés par cette beauté là.


Candeur ou provocation, les compositions d’Albert Ayler sont constellées de thèmes empruntés aux comptines enfantines, aux fanfares (dans lesquelles il jouait, enfant) et même aux marches militaires (il fit son service militaire en Allemagne), j’y verrai plutôt un hommage malicieux et tendre à la fraîcheur à l’innocence, mais qu’importe, car thème et improvisations sont séparés dans sa musique et semblent indépendants. De la simplicité à la complexité, l’improvisation est le pivot autour duquel s’affirme sa créativité.


La musique d’Ayler forme un tout indissociable, n’importe lequel de ses albums est un bon choix. Au-delà de sa superbe pochette, cet album-ci est remarquable, avec une prise de son au top, l’album est live ce qui convient bien au jeu d’Albert, tout en spontanéité et en générosité. Il marque aussi un tournant dans la carrière du vociférant saxophoniste, après des œuvres hurlantes et déchirées, empreintes de colère et de liberté, qui ont marqué sa période pour ESP, Albert, avec l’aide de Coltrane, fait son entrée dans une grande Major : Impulse lui ouvre ses portes.


Ce ne sera pas sans conséquences, Albert s’ouvrant à d’autres facettes, mais l’émotion est toujours là, poignante. L’Albert Ayler de la maturité n’a gardé de sa musique que l’essentiel, comme s’il savait la mort proche, d’ailleurs sans doute est-il l’artisan de sa propre mort: on retrouvera son corps flottant dans l’East River en novembre 70, du côté de Brooklyn.


L’émouvant For Coltrane ouvre l’album, l’alto se livre à une quête fiévreuse, passionnée, il crie sa plainte, accompagné du violoncelle et des deux basses, sans batterie, c’est un hommage lyrique et touchant à l’ami qui lui a tendu la main et qui mourra quelques mois plus tard. D’ailleurs John Coltrane émettra le vœu qu’Ornette Coleman et Albert Ayler jouent lors de ses obsèques.


Changes has come se veut un hymne à la beauté, à l’espoir et à la renaissance. Pour les deux autres morceaux Albert retrouve son ténor et chante l’espérance en jouant Truth is marching in, on y entend Don Ayler, son frère se lancer dans un solo brûlant à la trompette, imitant la fièvre dévastatrice de son frère aîné. L’affection entre ces deux-là ne sera sans doute pas sans conséquences sur la fin tragique d’Albert. Il nourrissait en effet des sentiments de culpabilité vis-à-vis de son frère, car sa mère lui reprochait de ne pas suffisamment s’en occuper…


Our prayer est une manifestation pieuse du très croyant Albert Ayler qui possédait une foi de granit, caractéristique qu’il partageait avec John Coltrane, cette très forte communauté spirituelle cimentera une amitié très profonde entre ces deux grandes icônes du Jazz libre.

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le 6 févr. 2017

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