Ches Smith – Interpret It Well (2022)
On reste dans les albums de batteur, mais cette fois-ci le registre est très différent. On connaît Ches Smith pour son appartenance au Marc Ribot's Ceramic Dog ainsi que pour ses participations à des albums de Mary Halvorson ainsi que pour la multitude de projets auxquels il a prêté la main, mais on ne l’attendait pas forcément en leader dans un tel environnement.
Le voici en tant que batteur, vibraphoniste, auteur et musicien invitant dans un projet de musique très « ouverte », en compagnie de fabuleux partenaires, Craig Taborn au piano, Mat Maneri à l’alto, pas au saxophone mais dans la famille des violons et Bill Frisell à la guitare. Bon, on est là face à quatre phénomènes, des improvisateurs émérites tous doués d’une énorme capacité d’écoute, ça en impose d’emblée.
Dès « Interpret It Well » la seconde pièce de l’album qui frôle les quatorze minutes ça jette, on comprend bien qu’il existe un canevas, une ligne suivie, mais ce qui s’impose avec intensité c’est la force des improvisations, après un départ hasardeux, un peu en errance, une force s’esquisse puis se dessine et emporte l’adhésion, dès que Bill Frisell contribue follement, de façon décisive.
Ces trajets labyrinthiques se retrouvent dans le titre suivant, « Mixed Metaphor » où les dialogues s’instruisent, entre vibraphone et piano par exemple, ou encore en y incorporant le silence qui joue avec le piano, l’alto et le vibraphone, célébrant un minimalisme qui préside dans l’espace introductif, avant qu’un rythme n'arrive vers l'avant et aspire l’habileté des solistes qui se conjuguent. Ainsi surgit de cette incertitude un motif puissant et dynamique, qui permet aux solistes d’exprimer leur singularité, Maneri et son alto tout d’abord, puis Taborn au piano.
L’absence de basse est encore une caractéristique ici, c’est à Ches Smith de palier, pourtant il préfère laisser l’air et l’espace vibrer sous les frémissements des cordes, alto et guitare se déploient de façon minimale, quelques notes de pianos se glissent, à ce schéma de départ succèdent piano et vibraphone ou guitare, plus rarement. Ces moments sont cruciaux et très suggestifs, presque sensuels, bien qu’ils soient sans thème, faits de presque rien, comme sur « Morbid » par exemple.
On le comprend ou on l’imagine, il y a peu de solide ici, l’immatériel, le volatile et l’éther sont de sortie. Plutôt que dire on suggère, et plutôt que faire, on esquisse. Libre est la musique et son chant s’envole, les rêves doucement prennent forment et s’évaporent presque aussi vite. On cherche Frisell qui arrive par éclipse, avec du juste, de l’essentiel, puis s’en va.
Ainsi s’écoule ce magnifique album qui reprendra bien vite le chemin de la platine. A noter, un Poster inclus avec l’œuvre de Raymond Pettibon dont une partie fait la pochette.