La fin d'une ère

Nous sommes au début de l'année 1982 et Motörhead est dans sa période faste. La formation composée de Lemmy Kilmister, Fast Eddie Clarke et Philthy Animal Taylor est à son apogée. En l'espace de trois ans seulement, les trois Amigos ont concocté 3 albums studio de grande qualité, Overkill, Bomber et Ace Of Spades, puis enregistré le live mythique, No Sleep 'til Hammersmith, qui décroche la 1ère place des charts britanniques à sa sortie en 1981. L'horizon semble donc être au beau fixe, mais il s'agit pourtant d'un trompe l'oeil...

En effet, ce line up est proche de l'implosion, bien qu'aucun des trois musiciens ne le sache encore à cet instant. À tutoyer les sommets aussi rapidement, il est fréquent de se brûler les ailes, d'autant plus lorsqu'il s'agit de l'un des groupes de Rock les plus extrêmes du moment. C'est dans ce contexte compliqué que va naître Iron Fist, qui va s'avérer être le chant du cygne de la mouture légendaire de Motörhead.

Disons le tout net, Iron Fist est loin, très loin d'être un mauvais album. Son plus grand défaut est l'inévitable comparaison avec le sémillant Ace Of Spades, qui propulsa Motörhead dans la stratosphère en 1980. À ce jeu la, Iron Fist est un ton en dessous, c'est indéniable. Sans être scandaleuse, la qualité sonore de l'album n'égale pas celle de son prestigieux prédécesseur. La faute à un changement de producteur au dernier moment, Philthy ne souhaitant plus travailler avec Vic Maile qui était pourtant aux manettes sur Ace Of Spades et No Sleep 'til Hammersmith. Pour des raisons financières, Lemmy et son batteur souhaitent privilégier la solution interne et ils insistent pour que Fast Eddie Clarke s'en charge. En effet, quelques mois plus tôt, il s'était essayé avec succès à la production sur le très bon album de Tank, Filth Hounds of Hades, et semblait donc en mesure d'assurer cette tâche. De prime abord, le guitariste est très réticent, car il ne s'imagine pas être producteur d'un album sur lequel il est également musicien ! Néanmoins, il finit par accepter, voyant qu'aucune alternative crédible n'était possible.

Par ailleurs et plus encore qu'à son habitude, Lemmy privilégie les sorties au pub plutôt que de passer du temps sur les enregistrements. Quant à Philthy, il doit en parallèle gérer des problèmes personnels qui l'éloignent fréquemment du studio. Résultat, Fast Eddie se retrouve bien souvent seul pour faire les arrangements, avec l'ingénieur du son, Will Reid-Dick, surnommé avec sarcasme « Evil Red Dick » par Lemmy et Philthy. Toutes ces contrariétés expliquent probablement le côté un peu « mou » de la production, notamment au niveau du son de la basse.

De plus, du côté des compositions, il faut admettre qu'elles ne sont pas aussi inspirées qu'auparavant. Après trois années de grande productivité couronnées de succès, on peut sans peine imaginer la nécessité pour le groupe de souffler un peu. Pourtant, la maison de disque ne l'entend pas de cette oreille et Motörhead est sommé de sortir un nouvel album en 1982. Avec plus de temps, le trio aurait certainement pu bonifier certains morceaux qui peuvent sonner très bruts, voire un peu bâclés, comme I'm The Doctor ou Shut It Down par exemple. Néanmoins, Iron Fist contient quelques pépites, à l'image du superbe titre éponyme qui n'a rien à envier à Ace Of Spades en définitive. Le morceau est rapide et agressif tout en étant mélodique grâce aux notes de guitare savamment distillées par Fast Eddie Clarke. Sur Heart Of Stone, Philthy est phénoménal derrière les fûts. Il envahit tout l'espace grâce à son jeu explosif, ses deux acolytes s'engouffrant dans la brèche. Sex and Outrage est dans la lignée de ce que Motörhead sait faire de mieux. Un morceau brut joué à toute vitesse !

Le groupe tente également de nouvelles choses comme sur Loser et America où le chant de Lemmy est plus clair qu'à l'accoutumée. Don't Let 'Em Grind Ya Down est un excellent titre dont l'intro à la batterie nous rappelle un peu celle de Stay Clean. À travers le puissant Don't Need Religion, Lemmy nous dit tout le mal qu'il pense des religions. Enfin, Bang To Rights conclu cet album sur un rythme boogie un peu mélancolique, Lemmy évoquant la fin de sa relation avec sa copine de l'époque... Une énième preuve de l'ambiance morose qui régnait alors au sein de Motörhead.

En conclusion, si Iron Fist a quelque peu déçu à sa sortie, c'est en grande partie en raison de son placement dans la discographie du groupe, qui le positionne juste après la triplette magique Overkill – Bomber – Ace Of Spades et de l'attente qui en a découlé. Mais en faisant preuve d'objectivité, il ne s'agit pas d'un mauvais album, il est même meilleur que nombre de ses successeurs enregistrés par d'autres formations du groupe par la suite. Iron Fist est également né dans un contexte difficile, l'ambiance s'étant grandement délitée entre Phil Taylor et Lemmy d'un côté et Fast Eddie de l'autre. Pourtant, l'album brille par moment et nous livre ce dont ce line-up pouvait nous offrir de mieux comme sur le morceau Iron Fist, devenu un classique en concert. Le trio a également montré une volonté de se renouveler sur certains titres, ce qui prouve leur désir de ne pas s'enfermer dans une cage en répétant mécaniquement ce qui a fait leur succès. Cependant, ces éclairs sont trop fugaces et la production globale de l'album ne convainc pas totalement. Iron Fist reste malgré tout un très bon album de rock qui passerait pour excellent s'il n'avait pas été délivré par un groupe qui venait de sortir Ace Of Spades. Si vous êtes fan de l'âge d'or de Motörhead, il convient de ne pas passer à côté d'Iron Fist qui est la dernière marque laissée par le power trio, avant le départ de Fast Eddie Clarke lors de la tournée qui suivit. Dès lors, le groupe ne sonnera plus jamais pareil, Phil Taylor s'en allant à son tour en 1984, avant de revenir brièvement entre 1987 et 1992. Motörhead mettra du temps à digérer tout cela et ne connaîtra malheureusement plus le succès entrevu entre 1979 et 1981.