Cannibal beauty
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Après son score remarquable pour Under The Skin, Mica Levi refait surface et utilise sa science musicale pour le film de Pablo Larrain, Jackie. Entre ambiance triste et portrait viscéral, la bande originale de l’anglaise est une nouvelle fois une réussite incontestable tant elle capte avec finesse toutes les subtilités visuelles et thématiques d’un film miroir aux nombreuses variations. Dès les premières notes (« Intro »), la personnalité musicale de Mica Levi se fait ressentir.
Pendant que la caméra scrute avec minutie les moindres émotions du visage de Nathalie Portman, la composition orchestrale se fait mélancolique et sombre, enveloppant alors Jackie dans une bulle aussi mystérieuse qu’évidemment triste. On le sait, la musicienne britannique, du nom de Mica Levi, sait parfaitement acclimater ses sonorités intimistes et ses structures alambiquées à l’exercice cinématographique : pour preuve sa précédente partition pour le non moins magnifique Under The Skin de Jonathan Glazer. Et en y repensant, la ressemblance entre les deux films germe de manière claire et le choix de s’entourer de Mica Levi apparaît comme flagrant.
Premièrement, le métrage de Jonathan Glazer et celui de Pablo Larrain ont pour point commun d’être l’étude de caractère presque documentariste de deux femmes en pleine mutation, deux identités dont les traits se dessinent avec une certaine pluralité des facettes engendrées. Alors que la bande sonore d’Under The Skin se voulait essentiellement électronique voire « indus » , accentuant de ce fait l’imagerie nocturne et déshumanisante de son cadre, celle de Jackie se fait plus orchestrale et s’inscrit dans une construction plus classique et coutumière avec l’utilisation prépondérante d’instruments à cordes ou à vent. Bien évidemment le décorum est tout autre : on passe d’une Écosse obscure et désœuvrée à la luxuriance déchue de la Maison Blanche et ses vestiges historiques.
Mais cela ne veut pas dire que Mica Levi se renie ou dépersonnalise ses créations. Malgré un contour sonore différent, l’ambition reste la même : celle d’une musique qui arrive à déchiffrer les silences et les symboliques de la mise en scène pour laquelle elle existe. De ce point de vue-là, Mica Levi arrive une nouvelle fois à immerger le spectateur dans les tréfonds d’une symphonie aussi tragique qu’élégante (« Walk to the Capitol ») qui jalonne le métrage de Pablo Larrain d’une aura horrifique presque latente, d’une culpabilité sans horizon. La musique de Levi a une qualité inusable derrière son modernisme transgenre : l’utilisation du silence et la fragmentation de sa matière réorientent les attentes émotionnelles d’une Jackie Kennedy qui lutte contre le choc de l’assassinat de son mari.
Par ailleurs, dans « Empty White House », les motifs classiques et majestueux disparaissent avec une brutalité confondante pour capter le sens vif de l’imperfection humaine de Jackie. En corrélation avec l’aspect sensoriel de l’esthétisme de Pablo Larrain, Mica Levi, à travers des violons aussi imposants qu’intimistes, décrit parfaitement l’état émotionnel de son personnage et se détache de son univers pour stratifier son atmosphère entre lumière et obscurité.
Moins stridente et plus souple dans ses envolées lyriques, malgré quelques secousses sonores distordues (« Burial »), la partition semble constituer ses mélodies à travers deux émotions bien distinctes : la tristesse quant au deuil vécu qui se confronte habilement à cette note d’espoir qui se déploie grâce à la pugnacité et à la dignité de son personnage (« Tears »). Tout comme Jackie Kennedy, Mica Levi façonne une musique à double visage qui gravite entre tragédie et grandeur.
Le point d’orgue s’avère être « Vanity » : un morceau d’une splendeur presque inégalable avec ses arpèges faisant ressortir la solitude de Jackie mais dont la rythmique se fait ample comme si elle juxtaposait ses saccades au pouls de Jackie, délivrant de ce fait un apaisement presque serein. De même pour « Graveyard », avec ses notes de piano lancinantes et ses tambours militaires, qui décrit la perte familiale tout en laissant entrevoir les responsabilités d’une Première Dame. A l’image du film, Mica Levi étudie les contours des sentiments de son personnage et ajoute au film, une deuxième lecture au portrait de Jackie en matérialisant les pensées bouillonnantes de sa protagoniste. Une nouvelle fois, Mica Levi transcende son sujet pour construire non pas une bande originale s’accommodant au contexte évoqué, mais devient une véritable réflexion psychanalytique du métrage.
Et même si parfois son utilisation en devient omniprésente et asphyxiante, le montage sonore et visuel de Jackie s’imbrique avec délicatesse. Jackie est une œuvre qui épie cette culture politique fixée sur la gestion d’image, où la représentation devient un faux semblant et c’est pourquoi une grande partie de la musique alimente ce jeu de surfaces et la construction d’un être au multiples reflets. Car au-delà du fait d’être une introspection de l’esprit de Jackie, Mica Levi échelonne la puissance de ses mélodies aux traits du visage de Nathalie Portman : comme si la lecture corporelle du personnage de Jackie se lisait à travers la musique.
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Créée
le 17 août 2018
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