Un jour Jason Molina aura son nom gravé sur le grand arbre de la chanson américaine. En attendant, il sort au creux de l'été et toujours sous nom de groupe - le deuxième après Songs : Ohia (1996-2003) - son meilleur album. Des gens bien informés certifient qu'il fut inspiré par la mort accidentelle, en décembre 2007, d'Evan Farrell, bassiste et compagnon de route des Magnolia. Tout ici pourtant, pochette à camée sur dentelle, titre du recueil, trois morceaux où elle est citée, parle d'une Josephine. De sentiments brisés, défaits, revenants. Que cet état chancelant suive une rupture ou la disparition d'un ami, de l'obscurité où vaguait alors Molina sortent des chants clairs et solides. Si l'espoir y meurt, c'est à la fin (Hope dies last, dit le titre médian), et s'étant bien battu. Dès ce O ! Grace introduit par un tour de piano, les variations désenchantées de Magnolia Electric Co. semblent exécuter un plan qui les dépasse, procéder d'une logique aussi rigoureuse que sont hasardeux, chaotiques les paysages ici traversés. Parions que dans des années ces premières mesures nous feront le même effet de connivence que les disques où sont nos obsessions secrètes.
On avait coutume de ranger Jason Molina sous le double patronage de Neil Young et de Richard Thompson. Comme chez ces deux-là, le folk-rock ici brûle d'un feu soul, voire gospel (The Rock of ages). On peut croire cette voix quand elle nous parle encore de lunes et d'horizons où le soleil rougeoie (Song for Willie). Quarante ans après Gram Parsons, cowboy angel hanté par la chute, et dix depuis I see a darkness, de Bonnie Prince Billy, chef-d'oeuvre noir inégalé par son auteur, Jason Molina regarde à son tour le ciel lui tomber sur la tête et chante comme si ça pouvait éloigner les orages. Et si Josephine était l'un de ces great american records dont il n'affiche aucun des signes extérieurs ? (Télérama)
On ignore toujours les raisons qui nous ont poussé à une certaine lassitude envers les disques de Jason Molina. Peut-être simplement la certitude qu’avec Magnolia Electric Co. (2003) et son corollaire traumatisant Pyramid Electric Co. (2004), édité en vinyle et postulant toujours au titre des plus grands albums de mise en abime de tous les temps, l’homme était parvenu à son sommet, après des années de tâtonnement. Alors, oui, nous fûmes un peu indifférent à ses enregistrements suivants, le laissant heureux de pratiquer simplement un rock classique de haute volée. Que l’on retrouve, non sans déplaisir, au début de cette nouvelle livraison – la fausse nonchalance de Shenandohah ou Whip-Poor-Will, tout en apesanteur. Si le début du disque n’est qu’aimablement élégant, la suite est absolument impériale. Car Molina et ses sbires ont toujours eu le chic pour placer leurs pièces maîtresses au moment où on s’y attendait le moins. En septième plage, Hope Dies Last éclaire le passage, laissant la place à la noirceur de Little Sad Eyes, qui trace sa route sous la direction d’un clavier fantomatique avant de succomber à un solo d’une mesure et d’une concision appréciable. Puis Map Of The Falling Sky nous fait à nouveau chanceler d’admiration, d’un rythme quasiment tribal (on dirait The Cure période Pornography joué par The Band) à son émotion contenue. C’est le sommet de l’album. En point presque final, Shiloh témoigne de la propension de Magnolia Electric Co. à maîtriser à la fois l’affliction et l’apaisement. Josephine replace donc Magnolia Electric Co. dans les dignes représentants d’une grande musique américaine, à la fois douloureuse et réconfortante. (Magic)