Y'a d'la joie
Ils sont de retour, et bordel, ça fait du bien. Comme quand tu retrouves l’intimité de ta chambre et de ton compte pornhub premium + après deux semaines passées dans la promiscuité du domicile de tes...
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le 13 sept. 2018
10 j'aime
Le titre est en soi un manifeste. Il évoque Nietzsche, philosophe de la joie qui affirmait que « sans la musique, la vie serait une erreur » et s’est dressé contre toute forme d’injonction ayant pour effet de limiter la vitalité de l’Homme en même temps que sa capacité à s’affirmer. A l'écoute de cet album, on est donc balancé entre des sentiments de colère et de joie.
Colère face à une société oppressante, à laquelle on a tôt fait d’adresser un doigt d’honneur dans une fausse expiation : « Forgive me father, I have sinned / I've drained my body full of pins ». « Colossus » est une entrée en matière plus que solide dans cette explosion de cris et de révolte teintée d’espoir. Le long d’un album qui a pour principale limite de s’essouffler un peu sur les derniers morceaux (difficile de maintenir le niveau…), Idles poursuit vaillamment la vocation du punk à exprimer les frustrations et, dans une ferveur grondante, nous invite à nous libérer des idées préconçues qui pourrissent la société.
Joie, parce que toute révolte authentique est positive. Joe Talbot a beau se torturer le corps et l’esprit, ses instincts dionysiaques reprennent le dessus. Cette force permet au chanteur d’insuffler dans ses hymnes une évidence plus fédératrice qu’un match de Manchester United. Cela vire alors à la musique de stade, mais d’une foule joyeuse et éclairée. Pas de ces masses à la Le Bon qui se jettent sur leur prochain pour le massacrer, mais qui lui affirment son amour, sa compréhension, sa sollicitude… Du jamais-vu.
« Danny Nedelko », l’un des grands morceaux des années 2010, dresse ainsi un rempart contre l’extrême-droite dans une anadiplose qui résume le programme de tous les partis politiques qui cherchent la division et gagnent malheureusement de plus en plus de voix dans le monde en cette décennie tourmentée : « Fear leads to panic, panic leads to pain, pain leads to anger, anger leads to hate ». Mais plutôt que d’en rester à des idées générales sur l’égalité ou la tolérance, Idles matérialise son sentiment d’amitié dans des visages concrets, que ce soit ceux de célébrités ou de stéréotypes dont le stigmate est retourné : « My blood brother's Freddie Mercury / A Nigerian mother of three ». Et ce sentiment est si inconditionnel qu’il s’incarne jusque dans la chair dont les humains sont constitués : « He's made of bones, he's made of blood / He's made of flesh, he's made of love / He's made of you, he's made of me / Unity ».
Le groupe de rock peut ainsi vous faire tirer des larmes de façon beaucoup plus efficace que des cucuteries de variétoche sur un même sujet. Second morceau de bravoure de l’album, « Samaritans » est doué de cette même tonalité sublime dans sa manière d’inviter à se débarrasser la masculinité toxique. « The mask of masculinity / Is a mask, a mask that's wearing me », se lamente Joe. Il ne dit pas « a mask that I’m wearing », ce qui permet à la fois d’assurer la rime et d’insister sur le poids des injonctions sociales citées pêle-mêle dans les couplets militarisés, ironiquement virilistes. Là encore, les idées s’incarnent dans un visage, celui du père : « This is why you never see your father cry ».
Ce thème de la paternité est assez présent sur l’album, dès le premier morceau où le leader évoque l’influence de son père d’une manière pas forcément aussi négative qu’on pourrait le croire (« I am my father's son / His shadow weighs a tonne »), mais aussi sur « June » où il fait référence au traumatisme qu’a été pour lui et sa femme la naissance d’un enfant mort-né. Le vécu personnel se mêle en effet à l’expérience sociale sur cet album multi-facettes. Il est question aussi d’amour (forme d’engagement ?), notamment sur « This Modern Love » où la phrase « I fucking love you » résonne avec une vigueur très originale.
Le phrasé et les textes de Joe permettent d’exprimer l’engagement de multiples manières. L’image d’Epinal de la rébellion de rue y a une place, comme sur le refrain de « Television » qui s’attaque aux médias de Grande-Bretagne : « I go outside and I feel free / Cause I smash mirrors and fuck TV ». N’oublions pas que ça reste du punk social qui part rapidement dans des pogos gigantesques lors des concerts. Mais cette image d’Epinal est quand même fort bien travaillée et s’accompagne d’images plus rares qui font mouche, que ce soit à travers leur humour (« Islam didn’t eat your hamster ») ou leur violence (« I put homophobes in coffins »). Les textes sont également parsemés de tacles, clins d’œil et autres hommages. « I kissed a boy and I liked it », gueule Joe à la fin de « Samaritans », revisitant de façon habile une célèbre chanson de Katy Perry. On est à la limite du name-dropping, ce qui peut faire sourire à l’occasion : « Ten points to Gryffindor » sur « Gram Rock ».
Joe Talbot est peut-être ensorcelé mais son talent ne fait pas tout : les deux guitaristes, le bassiste et le batteur font eux aussi un excellent boulot. La façon dont les guitares électriques se complètent et leurs effets, tout comme les variations de rythme, rapprochent la musique d’Idles de la veine post-punk de Public Image Ltd et Bauhaus. Cependant, on n’est pas plus dans une renaissance du post-punk de la fin des années 1970 que dans une nostalgie de la révolution punk originelle. Les apports du rock alternatif sont bien digérés et on peut déceler un discret côté Pixies dans les couplets de « I’m Scum » : ces gratouillements de guitare électrique, ces pseudo-halètements.... Les textures sonores sont globalement trop élaborées pour se résumer à du punk.
Correct dans ses moments les moins bons, exceptionnel dans ses moments les meilleurs, Joy as an Act of Resistance est en cela un album typique de la vague post-punk de la deuxième moitié des années 2010 portée par des groupes comme Idles, Fontaines D.C. ou Slaves. C’est une bonne chose que ces groupes supplantent ceux de la vague dite « pop punk » amenée par Green Day et The Offrspring plus de vingt ans auparavant, qui avait dégénéré en Sum 41 et Blink-182 et dont il était temps de sonner la fin du règne. Les Clash et autres Sex Pistols ont enfin de dignes héritiers : inventifs, vindicatifs, probes et en phase avec leur époque.
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Créée
le 11 nov. 2020
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