En quatre magnifiques albums et une poignée de maxis indispensables, Grandaddy, ces Californiens de Modesto, bûcherons-skateurs mélancoliques et héritiers croisés de Neil Young et de Pink Floyd, des Beach Boys et des Pixies, auraient largement pu s'attirer foules et gloire. Trop rock ou trop mous, trop sensibles ou pas assez pleurnichards, trop ploucs pour des urbains ou trop urbains pour les ploucs ; malgré une troupe non négligeable de fans zélés, Grandaddy s'est pourtant suicidé. L'histoire de Grandaddy est surtout celle de la défaite de Jason Lytle, homme seul contre ses démons, classiques, alcool et dépression ? beau passeport pour la lose. Son désir s'est éteint, ses fantasmes se sont noyés dans l'insanité du cirque-business, les tournées épuisantes et les automatismes tuants ont fini par l'essorer ? son groupe avec lui, sabordé avec panache avant le pathétique. Comme l'explique Lytle, le récent album Just Like the Fambly Cat est un adieu, conçu comme tel. Et, comme les albums précédents des Californiens, il est long en bouche. Il ne décante ses trouvailles magiques, ses rebonds improbables et ses alliages fins qu'après plusieurs écoutes de ses longues chansons ? de la déception à l'amour inconditionnel, par paliers réguliers. De l'anti-love song rugueuse, puissante et méchante Jeez Louise au finale ahurissant de la très belle Where I'm Anymore, des oscillations entre rock bas du front et folk à l'abyssale mélancolie de Summer It's Gone aux belles langueurs sous soleil voilé de Campershell Dreams, toute la palette émotive du groupe est passée en revue, en un condensé conclusif et testamentaire. Mais le morceau le plus symbolique de l'album reste l'imposant et ludique petit tube Elevate Myself, sur lequel Lytle chante, en point final goguenard : "Je ne veux plus passer mes jours et mes nuits à écrire des morceaux pour faire pleurer les filles (?). Je veux m élever et peut-être aller quelque part où je trouve difficile de me haïr." Le sourire las de l'adorable Lytle, les bouleversants éclats tristes de ses yeux ne trompent pas : soyons heureux de pouvoir profiter une dernière fois des trésors du groupe, car l'homme a probablement frôlé le néant. Il a choisi de faire comme les chats de famille ? "just like the fambly cat" ?, disparaître puis mourir ; il reviendra pourtant probablement, car les chats ont neuf vies.(Inrocks)
Grandaddy est mon ami. Je l'ai d'abord vu expédier brillamment l'indie hit A.M. 180 lors d'un live éclairé sur une chaîne cryptée, puis j'ai appris à mieux le connaître à la sortie de l'astronomique The Sophtware Slump (2000), dont la grâce mélancolique m'aida à surmonter l'un de ces terribles coups durs que la vie vous assène parfois sans prévenir. De là à dire que des barbus mélomanes adeptes du skateboard m'ont sauvé la vie, il n'y a qu'un pas que j'ose franchir allègrement avec la même sincérité dont la voix cristalline, onirique et caressante de Jason Lytle recèle. Viendra ensuite la découverte émerveillée de Under The Western Freeway (1997), parfaite antichambre du chef-d'oeuvre à venir, et Sumday (2003), troisième album élevant le paradigme pop à une hauteur vertigineuse qui s'embrouillait parfois dans les filaments d'une production ampoulée. Trois disques aérodynamiques profilés pour fendre l'air du moment et le coeur de l'auditeur, avec qui les Californiens entretiennent une relation presque intime, grâce à cette voix et à des textes touchants édictant l'éloignement et l'abandon comme failles insurmontables. Mais il y a peu, l'unique maître de cette oeuvre astrale annonça soudainement la disparition prochaine du groupe et de notre amitié privilégiée, Just Like The Fambly Cat en sera donc l'épilogue. Cette décision laissait craindre une dernière accolade timide et sans envie. Il n'en est rien. Dès les premières secondes hargneuses du tubes- que Jeez Louise, un mur de guitares abrasives remet très vite le sceptique à sa place, c'est-à-dire propulsé à l'arrière d'un pick-up spatial qui n'alunira qu'au son de This Is How It Always Starts, final atmosphérique dont les choeurs déployés et autres synthés planants s'enlacent autour d'un refrain éthéré. Entre l'avènement et la chute, l'ascen(sa)sionnelle fusée mélodique Rear View Mirror décolle au sein d'une stratosphère acoustique avant d'exploser en pleine thermosphère électrique, les harmonies décadentes de The Animal World font trembler la carlingue en annonçant la fin des temps, et l'irrésistible electro pop Elevate Myself (à en faire pâlir Owen Ashworth de Casiotone For The Painfully Alone) fait figure d'escale pittoresque. Agrémentez le voyage de l'instrumental cosmico-féerique Skateboarding Saves Me Twice, et ce dernier disque s'avère être une synthèse accomplie de ce que Grandaddy a su nous offrir depuis plus de dix ans. Évidemment, certains parleront d'une formule déjà employée en citant à l'appui le longuet et peu inspiré Guide Down Denied, mais reprochera-t-on à qui saura transformer le plomb en or de reproduire son procédé à l'infini ? Non, et tous les parodistes patentés (Girls In Hawaï et tant d'autres) doivent désormais se le dire, ils ne resteront à jamais que les tribute bands d'une formation qui ne souffre d'aucune comparaison. Grandaddy est un groupe solaire... ou plutôt "était". Je ne pensais pas que conjuguer un verbe au passé pouvait s'avérer aussi pénible.(Magic)
C'est désormais sûr, la bande de Jason Lytle a déposé les armes, et "Just Like the Fambly Cat" est l'écho posthume de ses derniers hauts faits. Voilà bien le genre de disque définitif, au sens le plus littéral, dont la critique ne sait rien dire d'objectif, empêtrée dans les liens du regret et de l'admiration. D'ailleurs, les Californiens ne font pas grand-chose pour faciliter le jugement en multipliant, entre douceur et hargne, les signes de la perte. Ça commence par un troublant "morceau" d'ouverture au piano où une question bien innocente de petite fille ("What Happened to the Family Cat?") revient de façon lancinante, ça se poursuit par une ballade tout droit sortie de l'Eden primitif dans une tradition américaine estampillée ("Summer...It's Gone"), ça se plaint de la vanité du show-business ("Elevate Myself") et ça francegallise ("Disconnecty"), et le tout se termine par un gros mensonge mélancolique ("This is How it Always Starts") éventuellement corrigé par le morceau caché qui suit, lacrymal et lyrique ("I'll Never Return..."). Le groupe a donc écrit et enregistré avec une certaine conscience de ce moment particulier de son histoire, l'annonce du split précédant logiquement la sortie du disque. Difficile alors de donner au disque sa juste place. On peut seulement dire qu'il rompt franchement avec le très joli et lisse (et un peu ennuyeux) "Sumday" par des écarts stylistiques constants qui rappellent ses débuts : la pop à claviers vintage pactise de temps à autre avec des guitares heavy ("Jeez Louise") et un esprit punk ("50%"), mais le band s'adonne tout autant, et avec une légèreté inattendue, à ses plaisirs cheap favoris (choeurs tout sucre, zigouiguis et rythmes bancals, notamment sur l'autoparodique "Where I'm Anymore" ou sur le plus tenu "Campershell Dreams"). On est donc aussi très loin de la lévitation souveraine de "The Sophtware Slump", qui dosait de façon si raffinée la mélancolie et l'étrange. Sauf à certains instants où le groupe retrouve de quoi nous émouvoir : "Guide Down Denied" ou le très beau "The Animal World". Ce dernier, avec ses déflagrations de claviers qui tombent comme les flammèches de feux d'artifice, son chant recto tono, ranime le mystère de cette musique et en signe le manifeste ultime : Hey guys and girls, the party's over.(popnews)
What happened to the family cat? » Après la sortie de l’excellent "Excerpts From The Diary Of Todd Zilla", EP censé faire patienter les fans fidèles de Grandaddy, deux évènements majeurs sont venus les frapper de plein fouet. Jason Lytle se coupait la barbe et surtout il annonçait, las de sentir un peu coincé dans une formule, la fin du groupe californien après dix ans de bons et loyaux services, à moins que cela ne soit l’inverse. Album testament donc et pourtant si l’on retrouve le chant relativement linéaire mais mélodieux qui a fait le charme du groupe dès ses premières années, des chœurs plaintifs ainsi que quelques orgues toujours aussi désuets, ce "Just Like the Fambly Cat" est loin d’être un bilan ou une redite des aventures passées, aussi flamboyantes soient-elles. On y prolonge le plaisir le temps d’un dernier tour de manège.
Peut-être plus direct que ses prédécesseurs, toujours mélancolique, "Just Like the Fambly Cat", sans doute un peu nostalgique, n’est pas triste. De l’entraînant Jeez Louise au classique Rear View Mirror, en passant par l’ultra court et ultra-énergique 50%, Lytle nous montre qu’il sait toujours écrire des bijoux pop sans pour autant se prendre très au sérieux… Des cris d’animaux terminent The Animal World alors que plusieurs solo de guitares sont réellement bancals. En ces derniers instants, il était normal de rendre hommage au groupe de Modesto, parce qu’il est aussi parfois bon de reprendre un peu ses marques et de se rappeler l’influence majeure qu’il a pu avoir sur toute une série de jeunes formations comme Girls In Hawaii ou Los Chicros. Même si l’été… est fini, il n’en demeure pas moins qu’en dernier lieu Jason Lytle nous annonce que C’est toujours comme ça que ça commence. Un signe, un espoir, une nouvelle aventure devrait voir le jour. Cet album laisse, en tout cas, imaginer encore de belles chansons en perspective. Le meilleur est encore à venir…(indiepoprock)
Grandaddy n’a plus rien à prouver. C’est sûr et certain. Les bouseux les plus adorables venus du trou du cul du monde ont inventé leur pop et se sont imposés comme l’une des références les plus brillantes de l’indé music. Malheureusement, Grandaddy est mort mais offre tout de même à ses fans un dernier disque, « Just Like The Fambly Cat ». La pop de Modesto n’a pas changé depuis ces dernières années, et on retrouve ce son caractéristique et cette voix envoûtante. Dès « Jeez Louise » on se sent à nouveau pris aux tripes par Jason Lytle, et on reste encore sans voix à l’écoute de ces mini-hits pop. La production est parfaite, quasi identique à celle de « Sumday ». « Skateboarding Saves Me Twice » est une perle qu’on est ravis d’entendre avant de devoir se remettre tous leurs albums. Une chanson pleine sans voix lead, qui monte et qui monte, un peu comme si M83 avait adapté un morceau à la guitare acoustique. Parfait. Grandaddy est un grand groupe que personne n’oubliera, et ce dernier album trouvera largement sa place dans votre discothèque.(liability)
Ce disque serait-il aussi beau s’il n’était pas le dernier du groupe ? Pas sûr... En tout cas, si à l’avenir il arrivait un successeur à celui-ci, le jugement serait le même : celui-ci à été composé et joué de bout en bout comme un testament discographique. Jusque dans son titre, qui file la métaphore de la disparition, évoquant les chats domestiques qui finissent toujours pas disparaître pour aller mourir dans leur coin. Pourtant, l’ambiance de l’album n’est jamais sinistre, mais comme souvent chez Grandaddy, la musique exprime une sorte de spleen joyeux, comme une retenue d’émotion, la fierté de ne pas pleurer en public. Ainsi, on sent une libération dans l’esprit de Jason Lytle tout au long de ce disque presque solo, en tout cas très autobiographique. Dans Rear View Mirror, il décrit son envie de ne plus passer son temps à regarder en arrière, qu’il ne veut plus consacrer sa vie à composer des chansons, coupé du monde. Il s’excuse même auprès des gens dont le groupe l’a éloigné (I Just Want To Elevate Myself). Musicalement, le groupe maîtrise son art volontairement approximatif, c’est-à-dire la pop-song sucrée au premier abord et qui s’avère de plus en plus déchirante au fil des écoutes. Peut-être pas aussi parfait et cohérent que les deux chefs-d’oeuvre The Software Slump et Sumday, c’est en tout cas leur disque le plus varié depuis le premier, formant plus ou moins un best of inédit. Ils s’y autorisent une entrée en matière toutes guitares dehors (Jeez Louise), puis une chanson délicate à base de « moew moew » susurrés (Where I’m Anymore) ou même un poussée de punk au refrain au ton digne d’une pub de lessive (50%). Mais tout cela passe toujours par le son un peu bancal du groupe, toujours ces vieux synthés, envoyant toute l’œuvre de Jean-Michel Jarre aux oubliettes. So... what happened to Grandaddy ? Probablement un mélange de lassitude, de querelles d’égos et de manque de confiance en soi. Il faut donc saluer cette démarche d’une sincérité rare dans le music business : avoir l’honnêteté d’expliquer à son public les raisons de cet « échec » et d’arrêter avant de devenir vieux et fatigués en sortant des albums médiocres. Et même si on peut douter que Jason Lytle laisse définitivement de côté la musique (une tournée solo a été annoncé un moment), on gardera en tête ce dernier mot, issu du livret : « So I guess that’s it then, and now I will say, farewell...and may fortune befriend you all. »... À bientôt Jason, qui sait... (insiderock)