Le Paradis perdu
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le 15 mars 2023
Pour évoquer un grand album de Madness, un « sérieux », on cite souvent « The Rise and Fall » (1982), le grand œuvre des Nutty Boys, leur « Ogdens’ Nut Gone Flake » — ce qui est un peu osé, mais passons. Mais « Keep Moving », qui vient juste derrière, en 1984, tient largement la distance avec le concept album de Madness.
Si « The Rise… » propose la bornemusicale « Our House », Keep Moving dégaine « Michael Caine » avec la voix du First Lad en personne — qui s’est déplacé au studio sur l’insistance de sa fille, fan du groupe. Et pas que. « Waltz Into Mischief » et « Time For Tea » sont des perles rares. « March Of The Gherkins » explore la Motown chère au cœur des Londoniens. Et que dire de « One Better Day » qui enchaîne tellement de variations dans son couplet que le refrain arrive en libérateur ?
« Keep Moving » se situe dans la lignée des albums à tubes de Madness, mais ceux-ci ont évolué. Sur cet album, le groupe pousse toujours sa science de la composition pop achalandée — dans ce groupe, personne n’use de son instrument d’une manière orthodoxe. Amusez-vous à écouter le guitariste Chris Forman : il tire des sons incroyables de sa Les Paul blanche, pas ska du tout, même quand Madness était ska — ses arrangements de funambules pourtant si évidents à l’écoute, mais il va pour la première fois expérimenter les années 80 telles qu’on aime à les percevoir aujourd’hui : celles avec un gros son. Woodgate le batteur joue comme une boite à rythmes (« Turning Blue »), quelques samples discrets se font entendre (le bijou « Samantha »), le son s’épaissit formidablement et la greffe prend : Madness a avancé.
« Keep Movin » est également le dernier album avec son membre fondateur, génie des trilles arrachées à son piano bastringue, Mike Barson (avant son retour en 1992 pour l’album « Madstock! »). Le taiseux nutty partira vivre en Hollande. La suite, ce sera « Mad Not Mad », une pièce pleine de spleen, où l’on découvrira que les joyeux lurons ne s’amusent pas tous les jours et que ce n’est pas facile d’être un Madness. Et que Madness rimera toujours avec mélancolie.
Il faut relire l’incroyable interview du groupe dans les « Inrockuptibles », au début des années 90. Suggs y raconte la folie quotidienne du septuor, sa volonté de travailler toujours plus dur pour tenir les maux à distance. Ces gens-là SOUFRAIENT. Et il revient sur 1984 : la fin de l’insouciance, le début de la prise de conscience ; « Keep Moving » est à la croisée de ces chemins. On comprend alors, pourquoi même à notre époque, même réduit à six (Chas Smash est parti), Madness en a encore toujours sous le pied. « The Liberty Of Norton Folgate » (2007) en témoignage. Et que dire du dernier album, sorti en 2016, « Can’t Touch Us Now », le titre qui dit tout ?
« Keep Moving » est à découvrir ou redécouvrir. Il est un de ses rares albums « autoreverse » produit depuis ces dernières soixantaine d’années qui peut remplir amoureusement une journée en engendrant une douce mélancolie.
Olivier R/
Créée
le 15 mars 2023
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