Ainsi que vous l'entendrez dire à la fin de Kensington Square, le deuxième album du meilleur jeune auteur-compositeur-interprète du moment, comme ils disent aux Victoires de la musique, a été enregistré à Paris, en face d'Austerlitz, la gare la plus triste de Paris ? l'album n'étant pas toujours lui-même très gai. Mais tant mieux. Car pour être tout à fait honnête, on a par chez nous un peu tendance à préférer Delerm quand il nous fait pleurer plutôt que lorsqu'il nous fait rire, même si ce que l'on préfère, c'est son numéro arc-en-ciel de Buster Keaton ? quand il nous fait rire et pleurer en même temps. Les dix morceaux de l'album, parmi lesquels, hélas, seulement deux chefs-d'œuvre, deux joyaux à la hauteur du Chatenay Malabry du premier album, ont été enregistrés au studio Gang, qui a autrefois donné son nom à un pas trop mauvais album de Johnny Hallyday.Le disque fait tout de suite un drôle d'effet : celui d'un style, dont les fondations ont été posées dès le premier album. Pas de doute : c'est du Vincent Delerm. On reconnaît sa patte. Il n'en a pas changé, même s'il cherche maintenant à l'élever. Il chante toujours aussi peu, se limitant bien volontiers à ce parlé-chanté qui nous empêche de chanter véritablement avec lui. Car si Delerm chante mal, on constate paradoxalement qu'il est assez difficile de chanter ses chansons mieux que lui. Néanmoins, lorsque Dominique A intervient (merveilleusement bien) sur un des titres, on ne peut pas éviter de penser en rigolant : "Tiens, enfin quelqu'un qui chante sur ce disque !" Ce morceau, Veruca Salt et Frank Blank, est un trio entre Keren Ann, Dominique et Vincent, et l'un des deux chefs-d'œuvre que nous évoquions ci-dessus. Il se situe au croisement du Velvet Underground et des Frères Jacques. Quant au Baiser Modiano, avec ses cordes ("genre Ceremony de Cure", me dit Delerm), c'est une chanson magnifique, une aquarelle dingue. On ne sait trop en l'écoutant si l'on doit rire ou pleurer, ni sur quel pied danser, ni trop sur quelle épaule chialer. On change d'avis à chacun de ses couplets, à chacun de ses refrains. Mais l'on sait que c'est d'ores et déjà un classique qui sera repris, auquel d'autres artistes voudront se frotter, et qu'il y aura peut-être même un jour, comme pour My Way, des versions punk du Baiser Modiano. Bonne chance.(Inrocks)
Pourquoi chroniquer de la chanson française dans nos pages ? Et bien parce que - assez d’hypocrisie - si Vincent Delerm chantait en anglais nous parlerions de lui sans la moindre retenue. Et lors de nos balades en sa compagnie dans les environs de "Kensington square", on se rend compte que nous avons les mêmes souvenirs, les mêmes références.Car c’est bien là la force de Vincent Delerm. Sans être ‘le porte-parole d’une génération’, il en est le journal intime, celui qui se rappelle. Il est les photos de classe, celui sur lequel le passé laisse une empreinte indélébile. Et on sourit à l’écoute de ces histoires que nous avons toujours connues et qu’il ravive à notre mémoire. Comme un ami du lycée, il nous glisse à l’oreille : « tu de souviens d’untel, et de Madame Machin… »Alors on se laisse entraîner chez les bouquinistes le long des quais de Seine (Quatrième de couverture), poussant chez Gibert avec Dominique A et Françoiz Breut pour aller récupérer un album de 10000 Maniacs pour l’offrir à une amie qui écoutait Veruca Salt et Franck Black. On poursuit Modiano le temps d’un baiser poussant en fin d’album jusqu’à Evreux ou en Gare de Milan.On en vient à regretter Les filles de 1973 qui nous agaçaient tant avec Balavoine, Eric Serra Rain Man, leurs bandanas et leurs t-shirts Best Montana. Vincent Delerm est comme les autres, en se racontant il nous raconte, avec un sens de la phrase, le souci du détail. « Nos histoires d’amour sont les mêmes comme si nous avions pratiqué, dans des piscines parallèles, la natation synchronisée. »Une voix nonchalante qui lui vaut encore bien des critiques, pourtant ses failles s’effacent derrière un réel talent d’écriture. Les arrangements sont précieux et ne sont pas sans rappeler ceux de The Divine Comedy. Des cordes, des cuivres, ici une mandoline et des mariachis mais aussi la simplicité d’un piano, nu.Vincent Delerm vient ouvrir dans le fond de notre cerveau, des tiroirs dans lesquels nous avions oublié ces petites choses insignifiantes qui pourtant sont chargées d’émotion et, dans le même temps, d’une certaine dérision. Il nous fait redécouvrir le plaisir simple des mots. (indiepoprock)