Charles Gayle With Sunny Murray & William Parker – Kingdom Come (1994)
Ecouter un album de Charles Gaye est toujours passionnant, il est tout d’abord apparu sur la scène du jazz tel une comète, à la fin des années soixante, subjuguant ses auditoires, puis a disparu complètement, sans laisser de trace. Il est ensuite revenu dont ne sait quel enfer, ressuscité, au début des années quatre-vingt-dix, le monde musical avait changé, mais lui pas trop, c’est pour ça qu’il est unique et qu’on l’aime.
Deux autres légendes à son côté, Sunny Murray qui a réinventé l’approche de la batterie pour en faire un instrument free, libre, particulièrement en mettant à l’avant le jeu des cymbales, et puis William Parker à la contrebasse, musicien majeur qui multiplie les enregistrements, les partenaires, toujours au service du meilleur de la musique jazz.
Une particularité ici, les sessions sont multiples, studio ou live, et Charles Gayle joue parfois en solo, au piano. Ça peut surprendre, mais il joue pas mal le bougre, plutôt dans le style de Cecil Taylor, c’est souvent très free, puissant. Je l’ai vu en live à la télé lors d’un concert où il n’a joué que du piano et c’était vraiment bien, à ma grande surprise d’ailleurs, je ne lui connaissais pas cette corde-là ! Il joue deux pièces en solo, « Seven Days » qui ouvre l’album et « Redeemed », la cinquième piste. Il interprète également une pièce en trio « Beset Souls » avec ses deux compères du moment.
Au registre des curiosités il utilise également la clarinette basse sur « Yokes », la dernière pièce de l’album. Pour le reste il se consacre au ténor, c’est là qu’on le connaît le mieux et qu’il déchire comme on aime, en bon fils d’Ayler et de Coltrane. La seconde pièce de l’album, en live également, « Lord Lord », d’une durée de vingt et une minute dix-sept est tout simplement phénoménale, avec un William Parker qui distille également un superbe solo.
Les autres pièces sont en studio, mais on se croirait en live, c’est enregistré à la "Knitting Factory" et le son est très convenable. « His Crowning Grace » est majestueux, puissant, éraillé et viscéral, un autre sommet ici, tout comme « Anthem To Eternity » qui ressuscite les fantômes d’Albert Ayler avec un aplomb incroyable.
« Yokes », signé Sunny Murray, est également joué en live, à la « Knit », et c’est une nouvelle leçon d’engagement qui est offerte, au service de la musique, des feux qu’elle fait jaillir et qui naissent au fond des tripes, avant de remonter puissamment, en un cri salutaire et libérateur, ou angoissé et alarmiste, mélange de foi et de rage contenue…