Globe-trotter musical, Stephan Micus parcourt le monde depuis maintenant près de cinquante années, toujours en quête de sons et d'instruments. Avide d'apprentissage, il se forme auprès de maîtres qui lui font percer les secrets de leurs cultures respectives. Il utilise alors ces différents instruments de musique dont il est d'ailleurs l'unique interprète sur ses disques et décide, tout en se basant sur ces traditions, de s'en démarquer en décidant de produire sur disque les reflets de sa conception musicale en nous proposant ainsi un univers très personnel.
Un kōan est une brève anecdote ou un court échange entre un maître et son disciple, absurde, énigmatique ou paradoxal, ne sollicitant pas la logique ordinaire.
Par exemple :
“Que devient le blanc de la neige quand elle fond au printemps ?”
ou
"L'arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l'entend ?"
Le kōan bouddhiste zen, souvent mal compris comme une énigme sans réponse, est plus justement vécu comme un chemin vers l'ouverture, et c'est ce chemin que Stephan Micus a parcouru depuis qu'il a enregistré ses sons pour la première fois sur disque.
Cet album marque l'entrée de Stephan Micus dans la constellation ECM. Il propose ainsi cinq parties de rituels caractéristiques. Il est d'une part apaisant, mais propose aussi des morceaux rythmés.
On a d'abord droit à une courte introduction à la flûte japonaise shakuhachi de moins de trois minutes et faisant office de première partie.
La seconde partie, longue de 12 minutes, est calme. Interprétée à la cithare bavaroise accompagné par le gender balinais, le tout survolé par moments par la flûte.
On frôle les 17 minutes dans la troisième partie qui est divisée en deux morceaux rythmiques qui mettent à l'honneur le rebab afghan et le sarangi hindou. Ils sont sublimés d'une part par la flûte, d'autre part par le bodhran irlandais et l'angklung indonésien, ces deux derniers instruments terminant le morceau sur un effet de transe.
Après cette envolée, c'est de manière judicieuse que Stephan Micus nous plonge dans un moment de sérénité. Dans cette quatrième partie il décide ainsi de marier sa voix à un carillon birman.
La cinquième partie clôture cet album avec des instruments à cordes. Guitare et cithare bavaroise sont une fois de plus accompagnés par son instrument de prédilection : la flûte japonaise shakuhachi, qui aura traversé de son esprit tout ce disque, tout comme le vent soufflant dans des roseaux.
Pour terminer ma critique, voici un exemple de koan et de son interprétation que j'ai trouvé sur le site "Le Champ des Possibles" et qui reflète bien, pour moi, la pensée de ce disque :
Comme Hui Nêng était là, le vent commença à faire claquer l’oriflamme. Deux moines se mirent à discuter là-dessus. L’un remarqua : « Regarde ! l’oriflamme bouge ! » À quoi l’autre rétorqua : « Non ! c’est le vent qui bouge ! »
Ils discutèrent interminablement sans pouvoir toucher au vrai. Brusquement, Hui Nêng mit fin à cette discussion stérile en disant : « Ce n’est pas le vent qui bouge, non plus que l’oriflamme, Honorables Frères, ce sont vos esprits qui bougent ! » Les deux moines restèrent cois.
Cette historiette peut être décrite ainsi : l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur est un des thèmes les plus fréquents des koan. Ce koan s’appuie sur cette dualité. Le zen, grâce à ses différents outils (zazen – méditation assise, kufû et kôan) et les arts qui en dérivent proposent de rejeter cette perception intrinsèquement conflictuelle. Ne plus séparer l’intérieur et l’extérieur, le corps et l’esprit, soi et autrui, développer une nouvelle vision de l’être, totalement harmonieuse, tel est l’objectif.