Cet album publié en 1974 a été enregistré entre septembre 68 et août 69. Les formations sont donc différentes sur la plupart des morceaux, hormis pour les enregistrements de février 69. Toutefois, il ne s’agit pas non plus d’une compilation de chutes de studio ou de versions alternatives, c’est un véritable album dont le matériel est étalé dans le temps, Archie Shepp se partageant alors entre New-York et Paris.
Malgré les variations de personnel, l’album conserve une certaine unité de style. Archie Shepp y porte l’expression de son identité propre, au milieu du bouillonnement créatif qu’il incarna pendant cette période extraordinairement fertile, ce qui le plaça au centre de la création musicale d’alors, plongeant vers les racines et marquant ainsi un tournant dans la « New Thing ».
Le très funky Back back ouvre la danse, orgue guitare et basse électrique font penser immédiatement à James Brown, l’ambiance est là, cuivres et anches balancent en rythme et groove comme il convient. Tout est en place,rien à dire, sinon que plaisir et bonne humeur sont les maîtres mots ici.
Spoo Pee Doo "Tout baigne" est très bref et assez original dans la discographie de Shepp, et même un peu anecdotique, sans doute. Les vocaux de Leon Thomas (sans doute de retour du Tyrol…) n’élèvent pas vraiment la qualité du titre, un brin farceur et décalé.
New Africa est sans doute la pièce maîtresse de l’album, le titre, composé par Grachan Moncur III, nous plonge directement dans l’ambiance du continent-mère, à la fois mythique et rêvé et à nouveau recréé par la magie des sons en un hommage où l’on retrouve, outre Grachan Moncur III au trombonne, Dave Burrell au piano, Walter Booker à la basse et Beaver Harris à la batterie. La section rythmique délibérément free, fait belle place aux tambours qui structurent le morceau, la batterie étant le pivot central autour duquel s’articulent les différents éléments qui décrivent une Afrique mystérieuse et sauvage, en quête de liberté : Uhuru ! Uhuru ! Jimmy Owens à la trompette est habité pendant son solo, déchirant…du velours pour Shepp et son ténor au son bleuté, le soliste Grachan Moncur III ne cède en rien en qualité au compositeur, encore une pépite à ajouter à la discographie du saxophoniste qui arpente les scènes avec la grâce et la démarche lente d’un dromadaire…
Slow drag est le premier des deux titres de la seconde face. Woody Shaw à la trompette livre un magnifique solo très strident dans la tradition du hard bop, tandis que Cedar Walton au piano assure un soutien rythmique d’enfer, accompagné par Joe Chambers et Wilbur Ware ! Archie Shepp apporte, en une succession de petites avancées, sa couleur et son lyrisme free, tout en restant dans ce tempo, mi blues-mi latino. Le résultat est brillant et efficace.
Bakal de Cal Massey bénéficie du même groupe officiant sur New Africa. Sur une rythmique répétitive et entêtante Shepp distille un très long solo qui, comme à l’habitude, vous emmène et vous emporte, les compères Charles Davis au baryton et Grachan MoncurIII au trombone distille des couleurs cuivrées ou graves qui balisent la route de ce beau voyage auquel nous sommes conviés.
Un des albums les plus méconnus de la période Impulse de Shepp, à redécouvrir.