Pour tout dire, on a difficilement succombé au charme de Keren Ann, renvoyant aujourd'hui devant l'objectif de Kevin Westenberg son image réfrigérante, presque frigide, qui sied parfaitement à l'atmosphère neigeuse de son second album. Pourtant, le miel vocal de l'alter ego de Benjamin Biolay, trop doucereux à notre goût salé, n'a pas manqué de séduire, ici et là. Mais à l'instar de certains journaux intimes, La Biographie De Luka Philipsen péchait par trop de naïveté, de fragilité et de complexes mal assumés. Et si La Disparition perpétue cette mélancolie bleutée qui fait la couleur du répertoire de l'indispensable Biolay (Novembre Toute L'Année), on assiste à la lente libération de cette jeune citoyenne du monde. En recourant encore à quelques artifices, une boucle électronique par-ci, un "autotune" par là, Benjamin sort (un peu) Keren de sa tanière, petit paradis artificiel où l'eau dort et le vent retient son souffle. La Corde Et Les Chaussons, comme dit une des dix nouvelles chansons de la paire française la plus courtisée depuis sa Love Story avec Henri Salvador. Surtout, en lui réservant derechef des chansons d'exception (à commencer par Le Sable Mouvant, version sableuse du Tombe La Neige d'Adamo), Benjamin Biolay confirme, si besoin était, que sa prolixité n'a d'égal que la qualité de ses arrangements, ce qui en l'occurrence relève du doux euphémisme. Même si, sur Les Rivières De Janvier, Keren Ann Zeidel démontre, seule comme une grande, ses prédispositions d'auteurcompositeur. Nonobstant l'interprétation les susurrements de la demoiselle en pleine torpeur provoquent toujours un certain énervement , ces douces chansons hivernales figurent la réapparition trouble de L'Illusionniste de la variété française.
Avec Keren Ann, le chant filtre à travers des persiennes mi-closes, évoque d'apaisants contre-jours induits par les lumières souvent éblouissantes des orchestrations de Benjamin Biolay. L'étendue du spectre instrumental sidère à la fois par sa richesse et par la beauté de sa mise en œuvre. Partie pour écrire un album de blues et de folk à nu, Keren Ann est revenue avec le disque le plus extravagant qui soit, où l'on croise à deux reprises une irréelle chorale d'enfants mais aussi des clavecins, des harpes, des boîtes à musiques ivres comme des manèges, des trompettes et toute une variation de bois, de vents, de violons' Pour un aperçu éclair de ce concentré de "grâce et d'élégance", il faut se précipiter sur Surannée, qui sonne déjà comme un classique avec sa ronde de harpe, sa foudroyante mélodie chavirée du bout des lèvres.De La disparition et de son double en anglais, on retient d'emblée cette luminosité de chaque instant. Une quête aux allures mystiques rapportée dès les premières lignes de Au coin du monde ("Que la lumière soit"), puis ensuite exposée, déclinée, étanchée au grè des dix chansons où les transparences et les fulgurances s'apprivoisent toujours un peu avant de s'embrasser violemment. "Ce disque, c'est comme une bulle : j'ai vécu dedans, laissé filtrer l'air, la lumière, je l'ai sculptée et désormais elle est bien ronde. Elle peut rouler." (Inrocks)
On ne change pas, paraît-il, une équipe qui gagne. Bien en a pris à Keren Ann, tant le successeur de la "Biographie de Luka Philipsen" s'avère être lumineux. Toujours accompagnée de Benjamin Biolay, tout auréolée de sa récente victoire de la musique, la jeune pousse de la nouvelle chanson française nous revient avec onze titres irradiés d'une beauté sereine. Parfois légère ("La disparition", qui donne son titre à l'album), souvent mélancolique ("Au Coin Du Monde", "La corde et les chaussons"), la musique de Keren Ann nous berce et nous caresse. Certes, rien de très nouveau sur cet opus doux-amer à bien des égards proches d'un Gainsbourg au meilleur de sa forme, mais comment ne pas succomber à ces atmosphères feutrées où les ambiances jazzy chères à Benjamin Biolay opèrent comme un baume apaisant. On entend ici ou là des choeurs séraphiques se mêler aux cordes omniprésentes, et l'on se croit tout à coup perdu en terre étrangère, avec cette sourde impression que l'Eden est à portée de main. Keren nous y susurre de sa voie apaisante que "la nuit nous va bien" ("Les Rivières De Janvier") et l'on a qu'une envie : la croire.(Popnews)