La Guitare à Dadi par Adobtard
Y'a un milliard de raisons d'aimer la guitare à Dadi, de Marcel Dadi.
La première, et la plus évidente, est si vous êtes guitariste. Autant le dire, ce n'est absolument pas mon cas. Ainsi j'espère dissiper les malentendus type "il faut être guitariste pour bien comprendre -et donc apprécier- Dadi". Si vous êtes guitariste donc, il y a forcément ce côté que l'on retrouve dès que l'on entend un virtuose de folie jouer d'un instrument duquel on peine à tirer le moindre trait potable. Pour ma part, en saxophoniste, je suis toujours outré par le timbre de Paul Desmond, par ce qui coule de la bouche de Parker, ou ce que Coleman fait avec son instrument (est-ce encore un saxophone ?). mais je comprends tout à fait les guitaristes qui ne doivent plus savoir à quel saint se vouer avec la déferlante Dadi. Cependant, même sans connaître l'instrument, il y a deux ou trois choses que toute personne qui dresse l'oreille sera largement à même de percevoir, et d'apprécier.
Comme par exemple, en deuxième point, quelque chose que l'on ressent tous : l'ambiance. Ou plutôt ici, les ambiances. Toutes différentes. Et avec une capacité, un pouvoir même, immersif incroyable. Dadi nous accompagne avec une telle délicatesse d'un morceau à l'autre que s'en est à pleurer. Le petit morceau d'introduction, tranquille, souriant, sautillant presque. Puis l'éternel Song for Kathy (http://www.youtube.com/watch?v=GeZc4oceQxU), un des plus grands. Quelle atmosphère... Un nombre pas possibles d'adjectifs qui arrivent... C'est beau. Oui mais c'est tristounet quand même. En même temps y'a pas comme un petit pincement au cœur ? De bonheur ? Ce sont les notes, ou c'est leur caractère ? C'est nostalgique hein. On se demande d'ailleurs qui c'est cette Kathy, elle devait être belle. Je crois que je suis déjà amoureux. Et on a pas le temps de penser, qu'on est déjà sur le morceau suivant, tout à fait différent. On reste toujours, on baigne, dans cette atmosphère de douceur omniprésente. Rarement musique aura été si caressante. Mais en même temps, ici un degré à changé, et l'on ne baigne plus dans le même nuage de coton.
Et ainsi de suite. Pas besoin d'être guitariste pour être sensible à ça, cette succession de petits bonheurs tous un peu différent du précédent. J'ai toujours une légère envie de pleurer et celle de sourire en écoutant Dadi, c'est fou.
Ce qui m'amène sur un troisième point, auquel je tiens beaucoup. C'est l'humour incroyable dont fait preuve Dadi. Steve Waring, que j'aime beaucoup aussi pour ses compositions pour enfant inégalables ("fais voir le son") a dit quelque chose d'infiniment vrai : "En écoutant ce disque, on a l'impression de voir Dadi se marrer". Je ne sais pas comment il y arrive. Tout baigne dans une ambiance rieuse, à commencer par les sublimes pochettes de son double album (ou le deuxième est appelé "Nombeur 3", oui, 3) dessinées par Mandryka (Le concombre masqué) et Gotlib (Rubrique-à-brac !). Mais aussi les textes qui l'accompagnent. Puis plus important, sa musique quoi.
Je crois que cette sensation d'humour profond et impénétrable vient du fait qu'il joue avec une aisance incroyable des choses d'une complexité toute aussi déconcertante. Quand il joue, ça coule, et l'on a l'impression qu'il ne sue pas une seconde pour produire une telle qualité sonore. Qu'il joue tranquillement, ou à toute vitesse, l'effet est sensiblement le même, on ne se presse pas, tout va bien, et il peut de toute façon jouer deux fois plus vite. Lorsqu'on voit quelqu'un jouer quelque chose d'un peu trop dur pour lui, on dit souvent "Ouch, ça sent la sueur là". Loin d'être aseptisée, la musique de Dadi fleure bon le naturel. Gotlib le dessine sur le volume 2 intitulé 3 dans une bulle, un chapeau de cow-boy dans le dos, assis dans l'herbe, sa guitare à la main, une fleur dans la bouche et le sourire aux lèvres. Détendu. C'est ça. Quoi qu'il joue, on a toujours l'impression (et sans doute est-ce vrai) qu'il est toujours un bon cran (au bas mot) en dessous de ce qu'il pourrait faire. Herbert Pagani (que je ne connais pas mais sait être un chanteur de l'époque, entre autre) sur le livret du deuxième album raconte une légende chinoise, qui résumée donne ceci : Un peintre de génie réputé pour savoir dessiner d'un seul trait n'importe quoi est appelé par l'empereur, qui lui demande un cygne, le plus beau. Le peintre lui demande dix ans. Dix ans plus tard, l'empereur va voir le peintre, qui devant lui lui dessine le plus beau cygne en un trait. L'empereur récompense la famille du peintre et condamne à mort celui-ci pour s'être moqué de lui en demandant dix ans. Quand le fils de l'empereur appelle son père, et lui montre, dans l'arrière salle, des millions de cygnes dessinés. Le peintre s'était entraîné pendant dix ans pour pouvoir livrer la perfection à l'empereur. Marcel Dadi c'est ça. Chaque trait, chaque note, chaque son, est maîtrisé à l'extrême, de façon à acquérir un naturel éblouissant de fausse simplicité. Marcel Dadi, vous pourrez l'écouter en musique de fond, parce que ce n'est jamais agressif, jamais dérangeant. C'est calme, et très reposant. Jamais brusque. D’où ce caractère un peu nostalgique aussi peut être.
En fait c'est vraiment la direction du moindre son qui me tue. Écoutons le derviche tourneur (http://www.youtube.com/watch?v=fOmzK0TeRrc). Célebrissime morceau chez les guitaristes, ou Dadi prend son thème (magnifique, sous tous rapports), et le répète en boucle en l'accélérant. Noires, croches, doubles-croches, même pas peur. Conduit avec un joli crescendo au passage, d'un bout à la presque fin, pour finir en diminuendo (= + fort/ - fort). Et bien force est de constater que pas une note n'a ne serait-ce que la tentation de marcher sur la queue de la suivante (pourtant ce que ce doit être tentant !), qui arrive aussi nonchalamment que la précédente. Que ce soit à la basse, à la mélodie, ou dans la myriade de petites notes qui se promènent entre les deux. Mais la maîtrise légendaire dont je vous rabâche les oreilles (/yeux) ne tient pas qu'au facteur vitesse. Le dosage du volume sonore est lui aussi d'une sincérité à en pleurer. Restons sur le même exemple. L'équilibre entre les deux voix principales, la ligne de basse (ploum plim, ploum plim, etc) et la mélodie, est parfait. Chaque fois qu'il décide de monter d'un cran, tout suit, on sent qu'il entend la moindre note qu'il joue, et qu'il lui fait faire exactement ce qu'il veut. Je ne suis pas guitariste, et en conséquent je ne sais pas trop comment dire, on dirait qu'il maîtrise exactement, parfaitement, la force nécessaire au moindre de ses dix doigts pour produire le son au volume souhaité. Comme pour l'attaque ! Pour le langage parlé on dirait « Jamais un mot plus haut que l'autre ! ». Jamais un mot de travers, jamais un son qui dérape au début, ou à la fin, non, c'est trop pour moi.
Vous ai-je déjà dit que j'étais follement amoureux de ce musicien ?
Je pourrais continuer longtemps comme ça, il y a beaucoup à dire sur la façon qu'il a de gérer ses espaces sonores, ses « blocs sonores » comme diraient les musicologues vingtiémistes (que c'est moche, écrit, ce mot). Comme il intercale brillamment un espace rythmique harmonique (= plaquer des accords, en gros) pour ponctuer ses espaces rythmiques mélodiques (= qui privilégient le développement de la mélodie). Très bon exemple dans le derviche tourneur encore une fois, mais dans presque tous ses morceaux de toute façon. Je ne me suis pas arrêté sur ses thèmes non plus, la façon dont il les construit, les développe, ou les mène, autant de choses passionnantes qui ne font que prouver que Marcel Dadi a tous les outils en main (et tellement plus) pour servir son inventivité doucement rieuse de musicien de génie.
Voilà Dadi, je t'ai rendu ce que j'ai pu, comme j'ai pu, pour tous les moments fantastiques depuis mon enfance jusqu'à aujourd'hui où je continue de t'écouter, régulièrement, et où tu me procures ce plaisir unique.
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