Vintage rock !
Malgré un grand manque de reconnaissance de la part du public hard rebuté par son ambiance soft, « Lace and whiskey » est un très bon album de rock vintage, sophistiqué, éthéré doté d’une production...
le 12 août 2023
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Je poursuis ici ma quête perdue d'avance de redorer le blason d'Alice Cooper aux yeux du public. Non pas qu'il soit un inconnu ou un mal aimé, mais à mon sens son image est bien trop souvent réduite à son personnage (mais il l'a bien cherché) et beaucoup passent à côté d'un artiste qui a bien plus à offrir que ce qu'on attend généralement de lui.
Ouais, ça sonne un peu dramatique dit comme ça, et à l'heure où je tape ces mots sur mon clavier je me dis que ce n'est pas si mal pour vous mettre dans l'ambiance de cet album au mieux méconnu, au pire détesté. Mon seul regret est qu'il s'agisse d'un clavier d'ordinateur et non pas de celui d'une antique Underwood.
Nous étions en 1977, année d'une explosion musicale sans précédent, la météorite punk transperce l'atmosphère musicale et les dinosaures du rock voient venir leur extinction en face. Beaucoup ne se remettront jamais vraiment de ce cataclysme. Pourtant Alice Cooper est un cas particulier. Il appartient bel et bien à la période début 70 du rock chevelu et accessoirisé que rejettent les punks, pourtant Johnny Rotten, porte-parole punk s'il en est, affirme l'influence qu'à eu le Coop' sur son propre chant. Voilà qui aurait dû réconforter la sorcière au maquillage iconique. Pourtant 1977 Alice Cooper s'en fout. Avec Lace and Whiskey, Alice Cooper est en 1947.
Le whisky est l'influence la plus évidente derrière ce projet, du whisky canadien en outre, le Seagram's V.O. qu'on peut voir sur la couverture, pas terrible mais un best-seller pendant la Prohibition. Le maquillage outrancier est oublié, les cheveux sont courts et Alice Cooper s'efface même derrière un avatar improbable du nom de Maurice Escargot (pour Hercule Poirot ou Clouseau) détective privé porté sur la bouteille, personnage cliché de romans policiers. Le dos de la pochette montre le chanteur accoutré ainsi, bretelles, chapeau, cravate, cigarette et .38 Special posant devant le désordre de son bureau de détective dans lequel on aperçoit la fameuse bouteille de Seagram's ainsi qu'un soutien-gorge en dentelle noire accroché négligemment aux stores vénitiens fermés. Tout y est. Le chanteur lui, est méconnaissable, mal rasé et marqué par la fatigue.
La nuit était noire et chaude, pas un souffle d'air, cela me rendait fou. Le ventilateur au plafond ne faisait que brasser la fournaise du bureau tandis qu'au dehors, accablés par la température infernale qui attisait leur folie latente, des chats et des chiens hurlaient et aboyaient dans la rue qui semblait bouillir. Voilà ce que décrit à peu près **It's Hot Tonight** introduction qui pose le climat si je puis dire. Si l'atmosphère est quand même un peu rock, et pas si éloignée que ça des premiers succès d'Alice Cooper, la thématique est celle de l'album, faite de bribes de romans noirs et de films en noir et blanc.
Lace and Whiskey est du même ordre, rythmée par le bruit de barillet d'un revolver prêt à défendre la précieuse dentelle d'une cliente qu'on devine forcément rousse incendiaire assise sur le bureau de notre détective. Les motivations sont clairement exposées dans le titre, et les paroles évoquent déjà prophétiquement un avenir de (Hercule) poivrot en construction.
Road Rats est le dernier morceau purement rock de l'album, et c'est brutal d'annoncer ça comme ça mais c'est la réalité. Le riff principal est direct et efficace, le rythme est soutenu mais encore une fois les paroles nous ramènent au thème de l'album et à l'époque qu'il évoque, genre de flou artistique 40-50s. Alice Cooper y évoque le fameux Rat Pack et son leader Sinatra. On est assez loin du punk et même des début d'Alice Cooper pour le coup. Après ce titre, l'album bascule réellement dans le délire noir et blanc le plus total.
Damned If You Do sorte de country kitsch de comédie musicale (très Ringostarrien) arrive sans prévenir. Soutenu par un piano de bar décomplexé on imagine le chanteur en costume bleu moiré avec un air enjoué qui ne trompe personne. Si avec son groupe Alice Cooper avait déjà exploré les rives de la comédie musicale en la teintant de son propre humour noir, là il se jette à l'eau sans retenue avec juste assez d'ironie pour qu'on s'interroge sur son intention réelle. Déroutant !
Le noeud de l'album est à mon sens la chanson **You and Me**. Il s'agit d'une chanson d'amour, une ballade easy-listening à des miles des ambiances de **Killer** ou School's Out apparemment sans second degré. Les violons sont de sortie et Alice Cooper révèle son côté romantique au grand désarroi de ses fans les plus durs. A moins que l'amour de sa vie qu'il décrit ici ne soit pas la jeune femme au boucles de feu qu'on imagine. Celle qu'il voudrait serrer contre lui, qu'il désire plus que tout quand le sommeil le fuit, qu'il rêve d'emmener avec lui au paradis, pourrait très bien être sa précieuse bouteille de whisky. Le réconfort du travailleur en somme. Cette chanson transpire la mièvrerie et pourtant elle a quelque chose de poignant et de tragique même avec cette interprétation éthylique. On est assez proche du titre homonyme de Frank Sinatra, ce dernier ajoutant la belle parenthèse "(We wanted it all)"
King of the Silver Screen fait retomber un peu la tension. Quoique. Humoristique et parsemée de touches musicales évoquant l'âge d'or du cinéma (la fin est baignée par "Autant en Emporte le Vent") la chanson évoque l'ambition d'un jeune ouvrier du bâtiment qui rêve de Hollywood, jusqu'à la folie furieuse. Les références se multiplient, Errol Flynn, Bing Crosby, James Dean, King Kong, Fred Astaire, personnages qu'il rêve de devenir pour finalement élargir son ambition à devenir la nouvelle Greta Garbo malgré son poids conséquent de 240 livres de robuste gaillard. La folie monte en puissance à mesure que l'orchestre livre une version glorieuse du **Battle Hymn of the Republic** (mais si "Glory, glory hallelujah" ), Atlanta peut bien brûler, et que le jeune homme promet de manger son maquillage si on arrête de le frapper. Il s'agit là d'une manifestation typique de l'humour typique de l'artiste, un peu comme sur **The Ballad of Dwight Fry**, et la chanson se conclut judicieusement avec le célèbre "Frankly, Scarlett I don't give a damn".
Ubangi Stomp est un morceau rock'n'roll classique maintes fois repris qui trouve ici une place de choix avec une interprétation ironique et datée avec remerciements dans le micro comme dans un tour de chant où tout le monde se fiche bien du gars sur la scène, trop concentré sur son verre.
**(No more) Love at Your Convenience** choque par son côté kitsch et c'est assez compliqué de dire où s'arrête la dérision. La chanson fait penser à cette sensation qu'on a alors que tout le monde s'agite hystériquement pendant qu'on bataille avec une gueule de bois persistante. Du moins pour la musique, puisque les paroles évoquent quant à elles le sursaut d'un homme qui se décide à prendre le dessus dans sa relation amoureuse dans un cliché de virilité digne encore d'un personnage de polar. Le fond et la forme sont toujours particulièrement contrastés sur tout cet album, c'est sans doute ce qui fait que j'y reviens assez souvent, découvrant certaines subtilités à force d'écoutes multiples.
Arrive alors la conclusion en deux temps. D'abord avec **I Never Wrote Those Songs**. Situation réellement vécue par un Alice Cooper alcoolisé qui a selon ses dires enregistré plusieurs albums sans en garder le moindre souvenir, cette chanson est dans l'esprit de You and Me mais en rajoute une couche. Le saxo se mêle aux violons dans ce pathétique morceau sentimental et larmoyant. Pourtant, "damn baby" ça fonctionne ! Enfin si on passe au-dessus de l'aspect exagérément guimauve. La chanson commence par l'évocation de pleurs sur un magnétophone dont le chanteur ne se souvient pas l'enregistrement puis se déroule comme un rêve dont il ne parvient pas à se réveiller. Encore une fois la musique en fait des tonnes, mais la tristesse paraît des plus sincères et le chanteur au fond du trou. Il y a sur la fin du morceau un silence poignant avant la reprise toute en violons et saxos datés et je vous promets que si vous vous êtes mis dans l'ambiance ça va vous soulever un soupir déchirant.
My God achève le polar, même si finalement on est allé au-delà de ce thème cache-misère (au sens propre pour le coup). La prière baignée de piano, d'orgue et de cordes est plus désespérée qu'autre chose, et on sent qu'une réponse n'est pas vraiment attendue car elle pourrait fort bien aggraver la situation. C'est une fin étrange, plus vraiment dans la veine roman noir, sans réel espoir de rédemption et heureusement qu'il reste encore un peu de kitsch pour atténuer le message car sinon ce serait vraiment déprimant.
Donc je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai écrit tout ça. Je sais qu'Alice Cooper n'est pas spécialement populaire en France et que cet album n'est ni très aimé ni représentatif de sa carrière. Je ne pense convaincre personne par ailleurs. Cependant, c'est un album que j'aime particulièrement, pour son côté drame maquillé en fête, pour son côté polar aussi bien-sûr, et pour la poignante illustration de l'instant qui précède la chute qu'il constitue. Effectivement, Bob Ezrin et Dick Wagner à la production auront à gérer la plupart des aspects de cet album en raison de l'état d'ébriété quasi permanent du chanteur qui, après une difficile tournée de promotion, ira séjourner en asile psychiatrique pour désintoxication.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 1977, Alice Cooper, presque tout !, Alter ego, avatar, personnage, quand la star ne se suffit plus !, Moi aussi j'ai des vinyles, mais pas tant que ça alors ça va. et Les meilleurs albums d'Alice Cooper
Créée
le 7 juil. 2013
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