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Il est difficile avec le recul de sauver quelque chose de la marée de fangeuse du Rock Progressif que nous écoutions - inconscients ! - au début des années 70. Pourtant, les expériences de Robert...
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le 23 janv. 2015
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Après le succès plutôt mitigé d'Islands, Robert Fripp, le leader du groupe (même s'il n'aime pas être nommé ainsi) décide de jeter tout le monde, y compris Peter Sinfield son plus ancien collaborateur, pour pouvoir opérer un renouveau de l'esprit de King Crimson. Il décide d'engager le violoniste David Cross, le percussioniste Jamie Muir, le parolier Richard Palmer-James (venant de Supertramp), le batteur Bill Bruford (venant de Yes) et le regretté John Wetton (venant de Family), puisqu'il nous a quitté ce janvier dernier. C'est donc pour la première fois une composition à peu près stable qui dura pendant... 2 ans !
Mais la transition ne se fait pas de manière aussi évidente, on préfère reprendre les bonnes vieilles bases. À commencer par le côté touche-à-tout (déjà vu dans Lizard). La première piste en est l'exemple même, c'est toute une ribambelle d'ambiances qui s'installent : une intro semblable à un jouet enfantin, ces violons démoniaques pour faire monter l'attente, son thème principal agressif, un passage plus rythmé malgré sa dimension démoniaque qui finit sur un déchaînement, le calme revenant par un solo apaisé au violon, pour finir dans quelques accords minimalistes aux sonorités de l'Extrême-Orient et bien d'autres encore... Ce sont au final 9 thèmes pour quelques 13 minutes ! Lizard ne fait pas le poids à côté !
Malgré sa forme à priori rassurante, le contenu est tout autre. Le nouveau King Crimson se présente bien plus violent, son orientation rock symphonique/jazz rock a viré vers le hard et l'expérimental.
Heureusement (si l'on veut), la partie centrale se trouve bien plus classique, à commencer par la calme ballade Book of Saturday, remarquable par son apaisement contemplatif. Exiles, la piste suivante, est en quelque sorte un mélange des deux époques : une intro angoissante, faite de bruits animaliers, de gargouillis, des sons indescriptibles, qui s'achèvent sur la mélodie elle aussi douce et grandiose. Les deux morceaux pourraient n'en former qu'un tellement qu'ils se ressemblent, les bruits bizarres faisant offices de pont.
Arrive ensuite, le néanmoins dynamique Easy Money, avec son introduction lourde en totale opposition avec ses couplets, calmes, sages, dont la voix se fait à peine entendre derrière les percussions. Seul le refrain "Easy Moneyyyyy !" sort du lot avec encore une fois par une percussion plus animée. Et au fil du morceau, les couplets s'intensifient, puis le pont d'une ambiance mystérieuse qui évolue progressivement vers un crescendo de plus en plus imposant, les solos se déchaînent, et le troisième couplet se fait triomphant :
Easy money !
Avec ce morceau, King Crimson se révèle une nouvelle spécialité : l'art du crescendo, ou comment à partir d'une simple mélodie établir tout une construction musicale en modifiant progressivement son accompagnement, pour terminer sur quelque chose de majestueux, puissant. Ce procédé, testé sous plusieurs formes dans Larks' Tongues in Aspic, sera réutilisé notamment pour Fracture et Starless.
The Talking Drum, commence de la même manière qu'a commencé Exiles : du bruit (du vent, un bourdonnement) mais très rapidement les percussions interviennent, suivi de la basse et du violon de David Cross, pour encore former ce crescendo progressif, dont les étapes sont indissociables : impossible de savoir quand le violon augmente son intensité, tant la montée est délicate et constante. Très vite, on se rend compte qu'une atmosphère endiablée s'installe, psychotique, déstructurée, pour finir sur un chaos dissonant le plus total !
Sans aucune transition, la partie 2 du morceau éponyme s'installe, en reprenant l'ambiance du tout début : des accords très lourds, pesants, puissants, instables, alternés par un riff en montée chromatique. Bien que l'ensemble ça semble très carré (une fois on est dans la première ambiance, une fois dans l'autre), aucune partie ne ressemble à l'autre, et c'est ce qui fait sa force : chaque petits détails prennent une dimension importante, et en même temps induit l'auditeur en erreur, lui qui pensait connaître la suite. Et une chose était sûre, il ne s'attendait pas à cette fin !
Dans sa nouvelle ère, ce monstre polymorphe s'est cette fois orienté vers agressivité et le percussions, tout en magnifiant ses solos, variant entre la mise en haleine et l'éclatement imprévisible.
C'est toujours ce qu'a fait King Crimson : l'imprévisible. Mais cette fois-là, il prend une dimension tellement importante que dans les deux parties de la chanson-titre, à moins d'en connaître toutes ses petites subtilités, personne ne peut dire à l'avance ce qui va se passer ; sa construction chaotique liée à sa fausse-régularité, Fripp et sa bande se sont fait une spécialité dans l'étonnement.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes King Crimson, ou l'art de faire des pochettes moches, Les meilleurs albums de rock progressif, Les meilleurs albums de King Crimson, Ma CDthèque et Les meilleurs albums de 1973
Créée
le 26 mars 2017
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