L'École du micro d'argent est très probablement le meilleur album de hip-hop français à l'heure actuelle. Je vais vous dire pourquoi.
D'abord ce groupe est composé de membres avec une culture musicale extrêmement riche, une culture générale elle aussi étendue, une fine équipe à l'instar du Wu-Tang qui fonctionne comme un clan; à savoir (a contrario d'un crew) chacun essaye d'amener sa patte et où tous les avis sur la compo comptent. De plus, IAM jouit d'une grande notoriété chez les Américains, ce qui n'est pas négligeable quand on sait que ce sont eux les boss de la discipline (j'en reparlerai plus loin). IAM est aussi un des rares combos de l'Hexagone à traiter de sujets sensibles et graves comme la prostitution ('Elle donne son corps avant son nom'), le proxénétisme ('Chez le mac') et les cités ('Demain c'est loin') avec autant de finesse et d'à-propos. Seul MC Solaar (dans un hip-hop moins enlevé et plus poétique) peut rivaliser sur les textes.
Les années 90 signent l'acmé du rap en France. Jamais on ne vit (ni ne revit d'ailleurs) pareille émulation. Évidemment le groupe marseillais en est le fer de lance dès le début et c'est avec cet album qu'il assoit définitivement sa renommée. Je me souviens. J'étais au lycée quand le skeud est sorti. Je me souviens également l'avoir écouté pas mal de fois mais quinze ans après, beaucoup de choses dans les paroles m'apparaissent beaucoup plus clairement avec le recul et l'expérience. Par exemple, se réécouter les paroles de 'L' Empire du côté obscur' c'est quand même quelque chose. Le flow est incroyable et là je me dis que c'est sans doute le seul morceau de hip-hop français qui réussit à rivaliser avec le Wu-Tang Clan. Le seul et l'unique.
D'ailleurs IAM a passé l'Atlantique pour enregistrer en partie L'École.... Quoi de mieux en effet que d'aller poser ses valises quelques semaines là-bas pour s'entourer de quelques têtes importantes dans le milieu, dont Chris Gehringer. Pour ceux qui ne connaissent pas, Gehringer n'est ni plus ni moins que le mastering en chef du masterpiece "Enter the Wu-Tang (36 Chambers)". Sur 'La Saga', on sent la forte influence des new-yorkais du Clan. Le mixage et le travail en studio sonnent beaucoup plus east-coast que frenchie.
Ce qui est marquant (et très appréciable) avec IAM c'est d'abord la très grande qualité dans la composition, l'utilisation des samples piochés dans des univers musicaux hétéroclites (Syl Johnson, Ramsey Lewis, Lalo Schifrin, Yusef Lateef pour ne citer qu'eux), mais IAM c'est aussi (ou surtout) des textes où jamais la vulgarité ne s’immisce, préférant privilégier la classe de la rime sobre qui depuis les caractérise. Aborder des thèmes sociaux avec autant de justesse et sans exagération, ce n'est vraiment pas donné à tout le monde, comme la piste finale 'Demain, c'est loin' de 9 minutes.
Hormis le morceau 'L'Enfer' que je trouve un peu léger par rapport au reste de l'album, tous les autres titres ont leur particularité, leur sonorité, leur empreinte, leur touch. A l'instar d'Eminem, IAM n'est jamais aussi fort et puissant lorsqu'il ne s'entoure pas d'artistes. Sur 'Un cri court dans la nuit', je trouve inutile le featuring avec Nuttea. Primo ce type m'exaspère par sa seule voix, mais de plus le groupe a assez d'imagination et de qualités pour devoir s'octroyer les services d'un tel mec. Tout comme sur L'Enfer que je citais un peu plus haut où le rappeur français Fabe dénature selon moi la qualité intrinsèque de la chanson. Sa voix ne colle pas et n'a pas lieu d'exister ici. Ça va peut-être paraître rude, mais niveau hip-hop en France, on est des nuls. Seul le feat sur 'La Saga' vaut vraiment le coup.
Au final c'est 16 titres et près de 75 minutes où les Marseillais nous proposent un album complet, au réalisme sombre et violent, des textes qui font mouche à chaque fois sans se répéter, une présence vocale d'Akhenaton et Shurik'N qui ne s'enraille jamais, et cette fameuse justesse de la rime dans des beats finement choisis.
Un album majeur de hip-hop.