Let Them Eat Chaos, c'est d'abord 'Europe Is Lost', une chanson terrible qui dresse le portrait du Royaume-Uni en 2016, un pays partagé entre Brexit, populisme, politiques corrompus, jeunesse foutue et monde qui perd la boule. Instru efficace, sentiment d'urgence, punchlines qui frappent là où il faut. J'ai beau chercher je ne vois pas un seul thème de 2016 qui ne soit pas abordé dans cette chanson. Tout ça à travers le portrait et les réflexions d'un membre de la classe moyenne.
Let Them Eat Chaos c'est aussi 'Perfect Coffee', une chanson qui parle de gentrification avec plus de profondeur que dans un article de Libé à travers le portrait de la jeunesse, chassée peu à peu de quartiers qui deviennent branchés... et qui va chasser à son tour les pauvres d'autres quartiers. Là encore je pourrais me lancer dans une énumération des punchlines mais il n'y a rien à jeter. Au fil de la chanson l'auditeur est transporté, d'un déménagement à une réflexion sur la ville qui se transforme et sur le sens de tout ça. Ou comment boire un café chez Starbucks tout en se demandant à quoi bon voir la ville changer et y participer si au final on en finit exclu.
Let Them Eat Chaos c'est enfin un disque bourré de réflexions et d'états d'âme sur la vie des jeunes urbains - vingtenaires ou trentenaires. la vie, l'amour, la fête, le boulot, tout y passe, sans jamais tomber dans la facilité. Et c'est d'ailleurs l'ambition annoncée dans ce disque, puisque dès l'introduction Kate Tempest nous annonce qu'elle va dresser le portrait de 7 jeunes londoniens. Et elle le fait avec brio, en débordant même un peu.
Si Let Them Eat Chaos est un disque de hip hop de bonne facture, son ambition, son enjeu et la façon dont Kate Tempest y répond et la puissance narrative qu'elle démontre titre après titre lui font prendre une autre dimension. Rarement un disque m'avait paru présenter toutes les facettes d'une génération compliquée et de son époque. Et raconter 2016 sur le plan générationnel, social, sociétal, politique avec une oeuvre quasi naturaliste. A la fin du XIXe siècle un certain Emile Zola écrivait une "Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire" en 20 romans pour raconter son époque et 130 ans on en parle encore. En 2016 Kate Tempest vient peut-être d'écrire le tome 1 de sa série.