Archie Shepp (saxophone), Jimmy Garrison (bass), Beaver Harris (batterie), Grachan Moncur III (trombone), Roswell Rudd (trombone),
Face1: One For The Trane, Partie I (22:00)
Face2: One For The Trane, Partie II ( 21:45)
John Coltrane est décédé cet été - là, on comprend de suite l’intitulé du morceau joué ce soir-là, à Donaueschingen, non loin de la source du Danube… Un titre unique, séparé en deux parties, car la capacité de stockage des albums ne permet pas de dépasser une certaine durée par face, on comprend aussi pourquoi Jimmy Garrison, le gardien du temple, est présent.
C’est d’ailleurs lui qui ouvre l’album, par une introduction sous forme de solo, comme il le faisait autrefois, avec le maître, quand il jouait les premières notes de « My Favourite things ». La basse est ronde, belle, grave, Jimmy Garrison puise sa force dans le souvenir, même si le quartet sublime s’est disséminé, il en reste la flamme présente à chaque vibration de corde, comme si le passé resurgissait, il porte la mémoire dans ses doigts, accompagné des seules percussions, concentré, il offre pendant plus de sept minutes un sublime hommage au compagnon qu’il a toujours aimé et admiré.
Le rythme devient hypnotique, Beaver Harris marque le tempo, Shepp joue du saxophone, d’abord par bribes, souffle court, petites touches espacées, puis plus volubile. Après le mot la phrase… Les trombones avancent, duo improbable, Roswell Rudd qui a appris en jouant du Dixieland et qui ferraille en vociférant maintenant avec les ténors du free, et Grachan Moncur III, de l’école de Ray Charles, au timbre plus doux, avec ce son qui glisse et qui coule… Cuivres et anche se mélangent, dialoguent, se poussent et s’encouragent…Une longue chevauchée s’amorce, dans l’urgence, les trombones lancent leurs banderilles, tout s’accélère, souffle et repart de plus belle. La section rythmique explose en gerbes multi directionnelles, Beaver Harris pousse comme un damné tandis que Jimmy Garrison marque le cap et relance encore et encore… Fer de Lance, Shepp fonce, Shepp brûle, incandescent, il s’élance soutenu par l’excellence de la seule section rythmique, il décortique et met en pièce, offre sa vision si personnelle, en hommage à l’ange tutélaire. Le duo des cuivres joint au groupe s’avère décisif, les trombones véhiculent, par leur présence même, le souffle de la tradition, marches brinquebalantes, rythmes éclatés et swing suggéré, comme offerts à la colère féroce de Shepp… ainsi s’achève cette formidable première face.
La seconde face s’ouvre comme la première, à ceci près que c’est Archie Shepp qui joue en solo, sans accompagnement, le saxophone parle, crie, hurle et pleure, les notes bleues s’immiscent et nous surprennent, se forgent une place hors du temps. Les trombones s’ajoutent et se greffent, avec l’appui de la rythmique. Jimmy Garrison joue comme avec Coltrane, mélodieux et grave, le son est plein, le socle est solide. Beaver Harris à l’arrière fait tinter ses cymbales et rouler les tambours, les rythmes évoluent, se brisent, et la musique se fait tendresse et douceur, l’archet caresse la corde et la baguette fait tinter la cymbale, recueil… Le groupe reprend alors une assez longue version de The shadow of your smile, introduisant une pause mélodique au milieu de cet océan free, le saxophone pleure et les trombones se lamentent… La ballade est magnifiée par la volubilité des cuivres à l’unisson et la machine repart, tout en rapidité et énergie, tout s’accélère, les trombones s’activent en un soutien répétitif, Archie est sur la brèche, sans cesse, il délivre une performance puissante, hors du commun, sans temps mort ni repos… Retour enfin à une nouvelle citation du thème, au calme, à l’apaisement … Ainsi le disque s’achève, sous les applaudissements, apportant une nouvelle pierre considérable dans le jardin de la New Thing…
Performance hallucinante, dans la droite lignée de The Magic of Ju Ju.